D'îles
en îles, nous remontons vers le nord. Une dizaine d'heures nous sont nécessaires
pour rejoindre le joli petit îlot de Wala, coincé à l'extrême
nord est de Malekula. Dans le bras de mer large de deux milles qui la sépare
de la grande île, un passage incessant de pirogues traditionnelles donne
une impression d'activité bourdonnante dans ce bout du monde tranquille.
Depuis les berges de sable blanc de Wala où 'stationnent ' des dizaines
de pirogues toutes construites sur le même modèle, hommes, femmes
et enfants vont au jardin, situé en face sur Malekula, beaucoup plus
fertile et offrant surtout des surfaces cultivables d'une toute autre dimension.
Mouillant par 6 mètres de fond dans une eau des plus cristallines, l'ombre
de la coque du bateau sur le fond de sable blanc donne le vertige. Depuis les
berges, des hommes nous font des signes pour nous indiquer que nous sommes ancrés
au bon endroit. Imitant des enfants qui se baignent à quelques dizaines
de mètres de nous, nous profitons de ce décor idyllique pour piquer
à notre tour une tête dans une eau à peine rafraîchissante,
qui flirte encore une fois avec les 30°C. Tandis que nous gagnons la rive
à la nage, un homme vient nous souhaiter la bienvenue sous le regard
d'une quinzaine de personnes.
- Je suis le chef responsable de votre bateau, entame Camille en anglais. Bienvenue
à Wala! Ici, le mouillage est gratuit! précise-t-il, comme si
tel n'était pas toujours le cas... Ici, vous pouvez vous baigner gratuitement
et marcher où vous voulez! poursuit-il comme pour préparer le
terrain à des prestations plus onéreuses auxquelles il arrive
d'ailleurs très rapidement...
- Si vous voulez assister à des danses traditionnelles en tenues de Small
Nambas, c'est 2000 vatus (environ 100 frs) par personne. Tout compris! Si vous
voulez voir des lieux sacrés normalement interdits, c'est 1000 vatus,
si vous...
Et de nous déballer toutes les prestations commerciales offertes par
cette communauté perdue au bout du monde. Non diplômé d'une
quelconque école de 'Force de Vente', Camille l'anglophone a manifestement
intégré toutes les subtilités de notre société
de consommation. Nous sommes amusés.
Pays du kava par excellence,
nous lui demandons seulement s'il existe un nakamal sur l'île, ces maisons
autrefois exclusivement réservées aux hommes pour boire la boisson
nationale qu'est le kava.
-
Il n'y en a pas sur Wala, mais si vous voulez nous pouvons vous en préparer
un, spécialement pour vous. Ça vous coûtera 250 vatus par
personne (12,50 fr). Vous venez ce soir? nous interroge aussitôt Camille
qui ne perd décidément pas le fil!
En un clin oeil, nous nous mettons d'accord. Cette petite somme pour nous représente
beaucoup plus pour lui, et finalement notre homme est attachant!!
- Vous serez combien? 2..?3..?
- Deux seulement, répondons-nous après que Jacques nous ait indiqué
qu'il préfère demeurer sur son bateau.
- A tout à l'heure donc, vers 18 heures! termine-t-il en s'éloignant
tandis qu'un autre homme nous aborde.
- Bonjour! Vous êtes Français? s'exclame-t-il dans la langue de
Molère. Je me présente: je m'appelle Pierre et je suis le chef
du village! C'est moi qui suis chargé d'accueillir les touristes francophones...
Nous nous regardons, amusés. Serait-ce maintenant le délégué
du tourisme local attaché à la francophonie qui nous aborde? Va-t-il
nous rejouer le grand jeu du précédent??
Finalement, beaucoup plus amical et plus intéressé de parler à
des Français que de vendre son île, nous passons un moment très
agréable en sa compagnie, découvrant le pays à travers
ses yeux d'instituteur de l'école catholique de Malékula.
- Celle-là même que vous pouvez apercevoir d'ici, nous indique-t-il
en pointant du doigt un immense bâtiment où trône une croix.
- Et vous allez comment là-bas? interrogeons-nous, déjà
sûrs de la réponse.
- En pirogue! Ici, tout le monde va en pirogue. Dès l'âge de 7
ans, les enfants naviguent à bord de leur propre pirogue, emmenant parfois
frères et soeurs plus jeunes à l'école.
- Mais c'est loin! nous étonnons-nous. Il faut du temps...
- En fonction de la marée et des courants, ça peut prendre jusqu'à
une heure, répond Pierre avec le sourire. Mais ici on a le temps, et
puis on est habitué!
Oh bien sûr, il regrette le temps du condominium où le gouvernement
français assurait le transport scolaire gratuitement sur des embarcations
plus lourdes et motorisées.
- Mais les anglophones plus nombreux ont voulu l'indépendance, déplore-t-il
amèrement. On voit ce que ça donne! Depuis 20 ans, le pays n'a
cessé de s'appauvrir. C'est trop tard pour revenir en arrière
maintenant, 'c'est la vie!' conclut-il, philosophe.
Alors que nous assistons à un magnifique coucher de soleil sur une plage
où femmes et enfants nettoient les gamelles au sable corallien, nous
entrons au coeur du village où Camille nous attend déjà.