Seize
heures de navigation sous un vent capricieux oscillant entre 5 et 20 noeuds,
nous sont nécessaire pour atteindre le bien nommé mouillage de
Port Sandwich sur l'île de Malekula. Situé au fond une baie aux
allures d'un paisible lac, c'est là que nous espérons voir de
très près les dents de la mer... En effet, c'est ici que se tenait,
au temps du condominium, un abattoir dont les déchets étaient
jetés directement à la mer,faisant le bonheur (et le repas!) des
squales qui s'étaient donnés l'adresse!
Même si, malgré ses 20 ans, Peter nous avoue n'en avoir jamais
vu un, la peur est tenace et personne n'osera jamais s'aventurer à tenter
un quelconque plongeon. Ici, on vit sur une île où l'eau avoisine
30°C, mais on se baigne pas! De vagues histoires d'attaques mortelles pour
quelques inconscients ont forgé à l'endroit une réputation,
ainsi qu'une base solide à des croyances plus ou moins fantaisistes.
Si nous sommes témoins de quelques chasses, nous ne verrons, nous non
plus, l'ombre d'un aileron...
Cette (trop!) courte escale d'une journée et demie nous donne, encore
une fois, un aperçu de l'accueil et de la gentillesse extraordinaire
de la population ni-vanuatu. A peine avons-nous mouillé l'ancre que les
premiers visiteurs viennent nous souhaiter la bienvenue sur leurs surprenantes
pirogues à balanciers. Creusées à même un tronc,
la stabilité de l'embarcation est assurée par le balancier qui,
tel celui d'un prao, joue tour à tour le rôle de contrepoids ou
de flotteur.
Les 'Bonjour!' et sourires fusent de partout pour les visiteurs exceptionnels
que nous sommes.
Comme si cela ne suffisait pas, des fruits et légumes nous sont même
offerts par les enfants en signe de bienvenue! Nous leur répondons en
leur offrant des gâteaux et bonbons qui semblent leur faire autant plaisir
qu'à tous les enfants du monde...
Francophones pour l'immense majorité d'entre eux -ce qui signifie donc
catholiques- notre meilleur contact se fera pourtant avec Peter, un anglophone.
Son père, un pasteur de l'église anglicane, est arrivé
ici il y a une dizaine d'années pour convertir les catholiques à
la ' bonne religion'. S'il
nous avoue que l'accueil de la population fut difficile au départ, la
cohabitation se fait désormais sans heurt. Très ouvert et curieux,
Peter nous assène de milles questions, impressionné par la fortune
que représente le bateau à ses yeux. Comme nous le retrouverons
sur chacune des îles ni-vanuatu, la seule rentrée d'argent pour
les habitants provient de la culture du coprah, la noix de coco que l'on sèche
dans des fours rudimentaires. A 25000 Vatus la tonne,- soit environ 1300 F-,
cette 'industrie'ne fournit pas de salaires à proprement parler. Tout
juste un peu d'argent pour acheter des vêtements et quelques produits
manufacturés.
Conscients que le monde que
nous représentons est à des années-lumières de son
quotidien, nous essayons cependant de lui expliquer que le monde occidental
n'est pas le paradis... même si le matérialisme peut exercer une
fascination évidente. Ici, il n'y a pas l'électricité ni
l'eau courante. Alors lui parler de la chance qu'il a de vivre 'en harmonie
avec la nature' serait un discours déplacé de la part de personnes
qui ont un micro ordinateur de la dernière-génération dans
leur sac à dos...
" J'ai déjà vu une fois la
télévision! s'enthousiasme-t-il. C'est un Français qui
l'avait amenée..." nous précise-t-il les yeux encore brillants.
Nous ne savons que répondre.
' Être né quelque part
Pour celui qui est né,
C'est toujours un hasard'
nous rappelle Maxime Leforestier. Combien de fois cette chanson résonnera-t-elle
encore dans nos têtes pendant ce tour du monde?? Du bon
côté de la barrière, nous nous sentons bien impuissants.
- Moi, j'aimerais retourner à l'école pour devenir instituteur
et monter ici une école anglophone, nous déclare Peter. Comme
ça, les fidèles pourront comprendre et lire la parole de Dieu.
Pendant l'office du dimanche, poursuit-il, mon père doit expliquer et
traduire les textes et les chants en bislama et en langage. Ce serait mieux
s'ils parlaient anglais, termine-t-il plein d'espoir.
Deux ans à Port Vila seront nécessaires pour Peter, le futur missionnaire,
qui a cessé ses études à 14 ans. 'C'est trop cher pour
aller à l'école. Là, c'est l'Église qui payera pour
moi, après je rembourserai', nous explique-t-il.
Il est vrai que le système éducatif s'est écroulé
avec l'indépendance. Devenu payant pour ces familles qui vivent sans
argent, si l'école est perçue comme une vraie chance d'évolution,
le coût qu'entraîne une poursuite d'études au collège
est inabordable pour 99% des familles. D'autant plus qu'il
n'y a actuellement que deux collèges seulement pour tout le pays! Un
sur Efate l'autre sur Esperitus Santo. '
Être né quelque part...'
A Malékula pourtant, les catholiques avaient implanté
un collège. Après
la fermeture et le démantèlement des locaux par le gouvernement,
en représailles de l'indéfectible attachement de l'île à
la France, il ne reste maintenant
que les ruines.
Ici, personne ne voulait l'indépendance. Et dans les sphères de
l'état, on s'en souvient...
Avant
de repartir pour d'autres horizons, une sympathique balade sur l'unique route
en terre conduisant à 'la capitale' où résident quelques
centaines d'habitants nous donne des regrets. La gentillesse et la volonté
manifeste de communiquer de la population nous donne envie de prolonger notre
séjour sur ce coin de terre perdu en plein Pacifique. Sans le bateau,
nous ne serions
probablement jamais venus ici; à cause du bateau, nous savons que nous
ne pourrons pas rester plus longtemps... Dommage!
Avant de regagner
Mitan, nous nous renseignons sur la possibilité d'acheter quelques noix
de coco.
- Si vous les cueillez, c'est cadeau! nous indique un homme qui serait offensé
que nous n'acceptions pas son offre. C'est ainsi que, sous les yeux incrédules
de Peter, je grimpe à mains nues les 5 mètres qui me séparent
des fruits de ce petit cocotier.
- J'savais pas que les Blancs pouvaient faire ça! s'étonne-t-il
en avouant être trop vieux pour réaliser la même performance.
De mon côté, la surprise est inverse. Je croyais que les talents
de grimpeurs étaient inscrits dans leurs gènes!...
- Alors, je suis plus ni-vanuatu que toi! lui lançai-je tandis que nous
éclatons de rire en regardant l'intérieur de mes avant-bras, rougis
par le manque de technique...
Offrant un dernier verre à Peter et un morceau de tazard pêché
du matin, nous passons une dernière nuit dans ce paisible mouillage de
Port Sandwich d'où nous ne ramènerons qu'un mauvais souvenir:
celui de n'avoir pu se baigner tant la chaleur nous assomme. Ou encore celui
de n'avoir pas vu un seul requin, même tout petit!...