C'est
sous un soleil protecteur que nous quittons aux aurores Wala et ses eaux d'un
bleu intense, presque violet, ce 2 octobre. Direction Luganville, la ville la
plus importante d'Espirito Santo, plus connue sous le diminutif de Santo. Sans
un vent exceptionnel, naviguant au cap, Jacques troque rapidement la traction
vélique pour celle de son moteur de 55 CV... et vive la voile!
Deux jours durant, nous
mouillons dans un endroit sans intérêt, aux eaux troublées
par l'embouchure de la rivière qui se jette à cet endroit. En
dehors de la connexion internet qui nous offre l'opportunité de transférer
les reportages en retard sur notre site et relever nos mails, cette ville ne
restera pas marquée dans nos mémoires. En fait, elle constitue
plus une étape vers les Banks, les îles les plus au nord du Vanuatu.
Une journée presque exclusivement faite au moteur, et nous atteignons
Vanua Lava, une île montagneuse dont la végétation luxuriante
et les berges inhospitalières nous rappellent les côtes guyanaises.
Loin du cliché de l'île paradisiaque où une mer transparente
vient mourir sur des kilomètres de sable blanc ombragée par des
cocotiers, Vanua Lava semble avoir été délaissée
par les bons génies de la carte postale touristique. En dehors de sa
cascade d'une dizaine de mètres qui ne justifie pas le détour,
nous retiendrons la visite de Philippe, seul francophone de sa famille de sept
enfants.
- Mon père voulait que j'apprenne le français, alors je vais à
l'école catholique, nous dit-il simplement. C'est à 3 heures de
marche d'ici, alors la semaine, je reste chez ma sur.
Perdu au bout de nulle part, le village où il vit avec sa famille n'existe
que depuis une dizaine d'années. Les habitations en bois couvertes de
végétaux qu'ils occupent offrent le double avantage d'être
jolies et d'être adaptées pour résister aux annuels cyclones
de la région. Quoiqu'il en soit, facile à reconstruire!
Une maison fait office de cuisine, les autres de chambre à coucher commune.
Ainsi, frères et surs, belles-surs, neveux et nièces
partagent le même espace, chassant, pêchant et cultivant un jardin
familial pour se nourrir.
Régie par un chef, lui-même secondé par des chefs élus
ou plus exactement plébiscités par la communauté pour un
mandat de 4 ans, cette micro-société très organisée
vit presque en autarcie.
Depuis quelques années, les prémices d'un développement
touristique au Vanuatu a vu des endroits jadis inconnus rencontrer leurs premiers
touristes. Tel est le cas de ce lieu, baptisé Dive's Bay, qui est devenu
un mouillage référencé sur la route d'Ureparapara et de
Reef Island. Très réactif, le village a alors décidé
de confier le développement touristique du village à un homme
affublé du clinquant titre de 'Chef du développement touristique'.
Après la gentillesse candide de Philippe, nous entrons dans un registre
très différent. Arborant un étonnant maillot du Bayern
de Munich 'donné par des touristes', 'Chief
Kennedy' comme il se présente lui-même, a 27 ans. Transporté
sur sa pirogue par des sbires entièrement sous ses ordres, 'le ministre
du tourisme' de ce village d'à peine cent âmes se donne des allures
de mandarin. Dans un anglais que nous arrivons à peine à comprendre,
il nous pose des questions sur notre provenance et présente oralement
sa mini-plaquette touristique. Très hautain, le regard fuyant, ses manières
ne nous plaisent guère. Témoin, sa montée sur le bateau
suivie de son installation dans le cockpit sans même y avoir été
invité ni demandé l'autorisation...
Très rapidement, il nous décrit 'sa mission', les résultats
qu'il a déjà obtenus sans omettre un désagréable
couplet sur le bilan catastrophique de son prédécesseur... On
se croirait à un meeting politique d'un personnage pour qui nous ne voterons
jamais!! Par son intermédiaire, -rien ne semble pouvoir se faire sans
son aval-, nous commandons quelques fruits et légumes, qu'il ordonne
aussitôt à ses sujets d'aller chercher. Et les pirogues de partir
au signal du maître...
Après une agréable
plongée sur une 'patate' de corail où de nombreux poissons multicolores
jouent avec la lumière vive d'un soleil brûlant, nous avons la
désagréable surprise de recevoir à nouveau la visite de
'Chief Kennedy' qui veut me parler pour régler un problème...
Très cérémonieux et usant de mille précautions oratoires
avant d'en venir au fait, Chief Kennedy finit par nous dire que les hommes qui
nous ont vendu les fruits ce matin ne sont pas contents. Ils ont réfléchi
et pensent que les marchandises valent en fait le double du prix payé!!...
A quelques mètres du bateau, les vendeurs forment un attroupement de
pirogues, pendus à la négociation du chef.
Très rapidement, je mets les choses au point, lui disant que que nous
avons payé le prix demandé au départ, tarif comparable
à celui pratiqué au marché de Vila. En un mot, ou nous
gardons la marchandise à ce prix, ou nous la lui retournons en contrepartie
de notre argent!
Devant ma fermeté, sa réponse est très rapide:
- OK, c'est bon pour le prix!
Vexé, 'Chief
Kennedy' quitte alors précipitamment le bateau, lançant, en guise
de baroud d'honneur, un dernier message :" Pour la pêche à
la langouste, ce soir, c'est annulé!". Dans la soirée, pourtant,
trois pirogues viendront au bateau pour nous emmener pêcher des langoustes...
Refusant ce jeu du chat et de la souris, nous leur rappellerons poliment les
paroles du chef, sûrs que cette occasion de pêcher la langouste
se représentera ailleurs. Et sous de meilleurs auspices.
Peinés pour Philippe notre petit copain qui ne comprend pas bien le jeu
idiot des grands, sa candeur et son naturel rattrapent l'image plus que contrastée
que son chef de frère nous aura donné de Vanua Lava.
Dans la soirée, John, 'le Chef du culte' - "mon rôle se limite
à l'entretien de l'église", plaisante-t-il de peur que nous
le prenions pour l'officiant!-, nous fera une sympathique visite. Nous offrant
des bananes, son agacement est manifeste lorsque nous lui apprenons que nous
avons acheté les autres fruits et légumes. "Ici, on ne vend
pas : on donne!" s'exclame-t-il mécontent de constater que les choses
sont en train de changer. Heureux de partager un agréable moment en sa
compagnie, nous comprenons en filigrane que les méthodes nouvelles de
Chief Kennedy bouleversent un peu la tradition d'accueil de ces hommes, à
son grand regret.
A
la tombée de la nuit, John viendra faire quelques tours autour du bateau
pour nous présenter son étonnante pirogue familiale à voile,
"entièrement faite de ses mains", précise-t-il. De tout
notre séjour dans ce pays, c'est la seule de ce type que nous verrons.
Superbe!.
En quittant le mouillage vers 7h le lendemain matin, nous apercevons Philippe
et sa pirogue, venu nous dire au revoir.
- Au revoir, Philippe. Tu as été un vrai ambassadeur de ton village.
- Bon voyage! nous souhaite-t-il dans un dernier sourire alors que nous nous
éloignons.