Reportage précédentReportage suivantUreparapara

Deux dauphins sur l'avant du bateauQuelques dizaines de milles ne nous séparent plus maintenant de cette île extraordinaire dont le nom exotique nous transporte déjà: Ureparapara. Joignable uniquement par bateau compte-tenu de son relief, Ureparapara est en fait un ancien volcan dont un des bords effondrés du cratère ouvre l'île sur le Pacifique. Ainsi Ureparapara ressemble-t-elle à un fer à cheval posé sur l'océan. Très accidenté, cet arc de cercle à la végétation luxuriante n'est que montagne dont le point le plus haut culmine à 760 m, alors que l'île mesure tout au plus trois ou quatre kilomètres de large. La mer, d'une clarté incroyable cache des trésors de coraux habités par des myriades de poissons multicolores. Dans quelque heures, nous serons au paradis!...
Sous génois et grand-voile, nous avançons à un train de sénateur, les cannes à l'eau dans ce coin réputé pour la pêche au thon. Jacques commence d'ailleurs rapidement les hostilités en sortant de l'eau un petit thon rouge de 50 centimètres. En revanche, nous n'aurons même pas le plaisir de voir le bout du nez du monstre, qui après une touche des plus violentes nous laissera espérer à la prise du siècle pendant quelques minutes avant de casser le fil de Dacron calibré à 120 livres!... Entrée dans le cratère d'Ureparapara
Nous nous consolerons bien rapidement de ce malheur avec la visite des premiers dauphines de notre traversée. Durant ce fascinant spectacle donné pendant une temps trop court par ces quatre dauphins jouant avec l'étrave du bateau, nous retombons littéralement en enfance. Malheureusement, cette rencontre sera trop furtive. Déjà à bâbord s'annonce l'entrée du cratère d'Ureparapara où nous allons mouiller.
A notre arrivée, comme une coutume dont nous avons maintenant l'habitude, les pirogues à balanciers des premiers curieux viennent nous rendre visite. Île anglophone, Caroline et moi serons les seuls interlocuteurs du bateau. Très rapidement, l'autorité locale nous demande l'autorisation de monter à bord.
- Je suis le Chief Nicholson, se présente un homme d'une trentaine d'années.
Assez protocolaire dans la forme, le personnage nous plaît immédiatement. Sans la haute fonction qui fait de lui la personne la plus importante de cette petite île administrée par deux chefferies, il serait sans doute plus amical, moins officiel. Mais il a également un rôle à tenir, une image à donner. De tout notre séjour, nous jouerons avec lui, usant des demandes d'autorisation qu'il ne peut refuser, donnant autant -et même plus!- d'importance à sa fonction de chef qu'il en attend de notre part.
Chief NicholsonDynamique, il nous présente son coin de paradis et nous parle des possibilités qui s'offrent aux visiteurs, moyennant finance, bien entendu, mais c'est bien fait! Aussi, nous prenons déjà rendez-vous pour le lendemain, pour une montée au sommet de l'île avec un guide.
- Vous lui donnerez ce que vous voulez, nous indique Chief Nicholson. Vous verrez avec lui, si vous avez des piles... ce serait bien, se risque-t-il. Nous en manquons actuellement sur Ureparara. le bateau de ravitaillement ne passe qu'une ou deux fois par an, ici. Nous lui vendons du coprah et achetons des vêtements, des piles, des crayons, des cahiers, etc... Pour le reste, nous nous suffisons à nous-même. Nous avons des jardins et la mer est généreuse, termine-t-il en remontant dans sa pirogue.
- Merci pour votre accueil, Chief Nicholson!
- Bienvenue à Ureparapara! conclut-il en s'éloignant d'un énergique coup de pagaie.

Embouteillage autour du bateau!A quelques dizaines de mètres du bateau, le récif corallien nous tend les bras. Le thermomètre annonce une eau à 29,2°... Masques, tubas et palmes chaussées, nous ne tardons pas pour découvrir ce qui se cache en dessous de nous. Dans 2 à 8 mètres d'eau, la diversité des coraux, aussi bien dans leur forme que dans leur couleur, est une splendeur que nous n'avons encore rencontrée nulle part ailleurs. Des champignons de l'île mystérieuse de Tintin aux sculpturales dentelles des autres variétés en passant par de véritables arbustes sous-marins, notre plongée est un ravissement. Jouant dans les anémones aux couleurs les plus inattendues, les poissons clowns volent presque la vedette aux poissons papillons, perroquets, chirurgiens ou encore à bien d'autres dont les noms nous sont inconnus.
Poissons clowns dans une anémoneTout au fond, nous apercevons quelques platax et impressionnants mérous. Finalement, après une heure et demie passée dans cet aquarium naturel, nous remontons à la surface, enchantés par cette balade sous-marine dont nous ne ramènerons malheureusement aucune photo...
Le soir même, nous replongeons à la lueur de la pleine lune en compagnie de John et Steven, deux jeunes locaux que le chef a désigné pour nous accompagner.
- Vous verrez, vous pêcherez des langoustes, il y en a plein sur le récif, là-bas...
Deux heures durant, armés de piques métalliques, nous allons accompagner nos deux plongeurs-pêcheurs. Si l'obscurité à peine percée par la lumière de nos lampes donne à cette plongée nocturne une dimension très spéciale, la pêche s'annonce en revanche moins miraculeuse qu'elle s'annonçait. Quatre langoustes, deux crabes et quelques poissons imprudents seront à mettre à l'actif de nos champions, nos yeux peu entraînés à ce genre d'exercice nous laissent de notre côté bredouilles. A 10 francs la petite langouste, nous leur en achèterons deux, histoire de modifier un peu notre régime alimentaire...Coraux

Plus terrienne est en revanche la rude balade qui nous mènera au sommet de cet îlot à la forme inattendue. Ninian, notre sympathique guide,secondé par son fils adoptif de 14 ans son cadet (!) nous accompagnent. Sous une chaleur à peine atténuée par la végétation luxuriante qui couvre les versants de cette île-montagne, nous reprenons notre souffle à plusieurs reprises, asphyxiés par le manque d'exercice des deux mois passés sur le bateau.
Pieds nus, Ninian grimpe le sentier qui avoisine les 30° de dénivelé comme si rien n'était.
- Mon jardin est de l'autre côté de la montagne, nous indique-t-il avec un large sourire. Une fois par semaine, poursuit-il, j'emprunte ce chemin pour aller cultiver mon terrain. Aujourd'hui, c'est plus facile, je ne porte rien...
Une heure et demie plus tard, nous atteignons le point culminant d'Ureparapara. Marchant maintenant sur une crête fort étroite après avoir escaladé des portions glissantes en s'accrochant aux racines des arbres, la vue qui s'offre à nous récompense nos efforts. Très loquaces, nous passons là-haut un agréable moment en compagnie de Ninian et de son fils. Cultivé, il nous surprend par sa connaissance du monde, pour lui qui n'a été à l'école que jusqu'à 12 ans et qui n'a quitté son île qu'à de très rares reprises.
- J'aime lire, nous avoue-t-il et aussi écouter les informations à la radio. Mais en ce moment, je n'ai plus de pile et ça me manque, nous dit-il sans arrière-pensée.
Au sommet d'UreparaparaIntelligent, sa compagnie est un vrai bonheur pour nous à qui les rencontres de ce type manquent de plus en plus. Sans discontinuer, il nous couvre de questions et essaye de se faire une idée plus précise d'un monde qu'il ne verra sans doute jamais.
- J'aimerais bien voyager comme vous, mais ce n'est pas possible, ajoute-t-il fataliste.
Marié, père de 3 enfants en plus de celui qui nous accompagne - c'est en fait sa femme qui l'a adopté à une cousine, comme il est fréquent en terre mélanésienne- , Ninian ne veut pas d'une grande famille.
- Ici, les familles ont souvent 6, 8, 10 enfants... Moi, je veux pouvoir les nourrir tous et les éduquer avec le peu d'argent que j'ai. Alors ma femme reçoit une injection dans la cuisse tous les trimestres, comme ça, on n'a pas d'enfant, nous explique-t-il en toute simplicité. Et vous, vous faites comment? prolonge-t-il, curieux..
De notre côté, nous n'avons jamais entendu parler de cette contraception trimestrielle dont il nous fait mention. Un peu surpris, nous nous posons encore la question: ces terres éloignées serviraient-elles de laboratoire humain à de nouvelles méthodes contraceptives encore en expérimentation?? Il nous est permis d'en douter, et si tel est le cas, les laboratoires pharmaceutiques peuvent dormir tranquilles: nulle ligue de protection des 'sauvages' ne viendra crier au scandale. Ureparapara est tellement loin de tout....

Technique du feu chez NinianDe retour au village, Ninian nous fait visiter sa maison-cuisine où il nous montre la technique utilisée pour allumer le feu avec deux morceaux de bois quand les allumettes viennent à manquer...
Charmés par cette homme de 38 ans qui est la gentillesse même, faute de posséder des piles qui sont certainement ce qui lui ferait le plus plaisir, nous lui donnons notre briquet et de quoi acheter un moteur à son transistor. En nous raccompagnant jusqu'au bateau, Ninian nous fait le plus beau cadeau qui soit. Assis sur la petite plage qui borde le village, il nous raconte la légende ni-vanuatu qui explique pourquoi les roussettes -qui sont des chauves-souris géantes- s'accrochent aux arbres la tête à l'envers. Soucieux de nous faire plaisir en étant le conteur de la rubrique 'Contes et légendes' de son pays, il nous demande à la fin de son récit: 'C'est bien ça une légende?'. A la lire, vous répondrez à notre place...

Reçus avec notre skipper chez Chief Nicholson pour un dîner payant, nous terminons cette journée mémorable par un excellent repas traditionnel. Langouste, crabe, mais également lap-lap sont à l'honneur. Fidèle à lui-même, le chef et sa femme nous reçoivent très officiellement.
Repas officiel chez Chief NicholsonAprès nous avoir habillés d'un collier de fleurs, le chef prononce un petit discours de bienvenue à sa table. Nous sommes ensuite invités à prendre place autour d'une table en plein air à quelques mètres de la plage. Dans cette ambiance d'ambassade, alors que nous attendons les couverts en argent, le chef nous propose de manger à la main, 'la plus belle des cuillères que Dieu nous ait donné'!... Et nous allons nous régaler!
Le remerciant très pompeusement pour le dîner 'que nous avons l'honneur de partager en sa compagnie', nous prenons congé du personnage le plus important des 200 âmes vivant à l'intérieur du cratère.
- Nos hommages à Madame le Chef et permettez-nous de la féliciter pour cet excellent repas.
Chief Nicholson, aux anges, nous répond d'un sourire et d'un timide signe de la main..
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