Alors
que nous remontons vers le Nord la côte Est de la Calédonie,
le petit matin m'a vu ressortir le nez pour prendre un peu d'air frais. Après
une nuit passée à quelques centimètres du moteur, le marin
qui sommeille en moi fait de la résistance... A 8h45, le sifflement strident
du moulinet de la canne que je me suis attribuée, nous fait sursauter.
Sautant sur la canne, je ramène difficilement un poisson qui vend chèrement
sa peau. Allant de droite à gauche, jouant avec les vagues, cette belle
prise me fait battre le cur plus rapidement que de coutume.
- Vas-y, ramène! m'encourage Jacques qui attend déjà, la
gaffe en main. C'est un 'mahi-mahi' comme ils disent ici, une dorade coryphène
si vous préférez. C'est un sacré beau morceau, ne la loupe
pas! m'encourage-t-il, aussi excité que moi à la vue de ce gros
morceau.
Aux commandes du bateau, Caroline garde Mitan dans le lit du vent.
Plaçant la gaffe sous une ouïe du 'monstre' qui se débat
comme un beau diable qui voudrait encore se faire la malle, Jacques arrache
bientôt l'imposant poisson à son élément. Quand,
d'un geste malheureux conjugué à un coup de queue plus violent
que les autres, Jacques pousse un cri de douleur.
- J'suis accroché, se plaint-il, l'avant bras transpercé par le
second trident du leurre.
Devant nos yeux éberlués, il fait maintenant corps avec le poisson
qui continue de se tortiller, enfonçant dans ses chairs l'hameçon
de plusieurs centimètres. Maladroitement, nous essayons de lui venir
en aide, pris de cours face à cette situation où nous ne savons
comment intervenir sans accentuer sa douleur. Réussissant à hisser
le poisson tortionnaire sur le pont, c'est en me couchant sur lui, l'enserrant
à bras le corps pour lui interdire tout mouvement que nous mettrons un
terme au calvaire de Jacques. Après quelques coups de couteaux bien placés,
nous réussissons finalement à décrocher le leurre du maï-maï
qui vient d'expirer. Respirant fort, Jacques
est blanc mais ne bronche pas, un étrange pendentif accroché de
bien curieuse façon sur l'avant du bras droit... Traversant le cuir de
la peau d'un côté pour ne laisser sortir que la pointe d'un des
tridents deux centimètres plus loin, il faut rapidement se rendre à
l'évidence : une opération est incontournable. Faute de scalpel,
c'est au cutter que j'entaillerai les chairs pour libérer l'hameçon.
Ne pouvant contrer le mal de mer qui me liquéfie, Caroline prend alors
le relais, pendant que j'essaie de reprendre mes esprits. Douillet comme un
ancien rugbyman qui en a vu bien d'autres, Jacques reprend des couleurs tandis
que Caroline libère l'hameçon à l'aide d'une scie à
métaux...
Quelques minutes plus tard, la plaie désinfectée, nous plaisantons
de l'incident :
- Hé dis donc Jacques, j'ai quand
même fait un sacré coup de ligne! T'as déjà eu 100
kilos de barbaque au bout de ta ligne toi?...
Dans le cockpit, la dorade coryphène qui nous a posé tant de soucis
gît. Un mètre vingt pour 15 kilos : un sacré beau coup de
ligne quand même!!!
Vers 14h45, après 31 heures de mer, nous mouillons l'ancre à MOULI, située au Sud Ouest d'Ouvéa. Les couleurs presque magiques de l'eau transparente qui vient finir sa course sur une immense plage de sable blanc réussissent à me faire oublier ma petite forme de marin d'eau douce...