Gentiment, nous quittons donc Nouméa sur
MITAN. Un peu excités à l'idée de vivre une aventure nouvelle,
en bons élèves, nous essayons de suivre à la lettre les
indications données par Jacques. Si le temps est magnifique, le vent
n'est malheureusement pas de la partie pour qui navigue au cap. Plus adepte
du diesel que d'un purisme qui obligerait à tirer des bords dans le lagon,
c'est au moteur que nous gagnons Bonne-Anse, notre première étape...
Protégés du vent dans un mouillage où trois autres bateaux
nous ont devancés, nous jetons l'ancre par 13 mètres de fond sur
du sable blanc d'où pointent quelques coraux.
A 6h30 le lendemain matin, nous sommes tous les trois sur le pont. Dans un silence
à peine troublé par les vagues qui terminent en douceur leur course
sur la plage, nous prenons le petit déjeuner assez rapidement. De nature
anxieuse, Jacques est déjà ailleurs. Un rapide brin de toilette
plus tard et je suis près du guindeau, sous les ordres du capitaine.
Tout près de lui, Caroline est à la barre et se retrouve dans
la peau des élèves de l'auto-école où elle est monitrice.
Mais Jacques n'est pas moniteur, et le sentant bouillir sous des allures faussement
calmes, Caroline lui redonne très rapidement les commandes...
C'est vrai que nous avons en main plus de 800 000 francs qui représentent
sa vie. Et même si nous n'avons pas d'expérience en la matière,
nous sommes conscients de nos possibilités et n'accepterions pas une
tâche que nous ne nous sentirions pas capable d'assumer. Et puis il est
là, à quelques centimètres... et un léger écart
de barre n'est pas, dans la seconde, synonyme de danger, comme au volant d'une
Ferrari... Mais peut être est-il encore un peu tôt pour que la confiance
s'installe?...
Grand voile et génois dehors, c'est
pourtant le moteur qui nous propulse la plupart du temps. Malgré une
mer calme qui ne laisse apparaître qu'une houle de l'ordre de un mètre,
mes fausses allures de marin breton sont rapidement mises à l'épreuve.
L'odeur du moteur accentue mon état nauséeux. Si Caroline se porte
comme une petite sirène, le mal de mer commence à me gagner, petit
à petit... A
5 nuds (soit environ 9 kms/heure), MITAN traîne ses 12 tonnes et
se dirige tranquillement vers le canal de Havannah, la pointe sud de la Nouvelle-Calédonie.
A l'arrière du bateau, deux cannes à pêches taillées
pour le 'gros' traînent deux leurres de presque 20 centimètres.
Les pêcheurs en rivière occasionnels que nous sommes rêvent
déjà d'une belle prise...
- On va en faire!, nous rassure Jacques qui devine déjà notre
impatience.
Vers 11 heures en effet, en ramenant
une ligne encombrante lors d'un virement de bord, Jacques s'exclame :
- J'en ai un dessus! Caroline, coupe le moteur! Yannick, viens à ma place,
on va se mettre face au vent pour arrêter! Caroline, garde la barre là,
je vais le gaffer, poursuit Jacques qui virevolte dans tous les sens!
La canne pliée en deux, je ramène facilement un beau poisson sans
beaucoup de défense. Sur la plage arrière, la gaffe en main, Jacques
mettra un terme à la vie marine de ce tazard de 10 kilos pour 90 centimètres.
- J'en ai jamais pris d'aussi gros! Il est balaise, non?
lançais-je, fier comme un gamin qui sort son premier gardon de l'étang
communal...
- Ouais, répond Jacques qui en a vu d'autres. Il est pas mal!...
Bravant le mal de mer qui me gagne, c'est moi qui viderai cet énorme
maquereau sur la plage arrière du bateau, avant de remonter bien vite
m'allonger dans la cabine, le cur au bord des lèvres!... C'est
encore loin l'Australie, ça promet!!...
Si Caroline reste vaillante, je resterai toute la journée et la nuit
suivante allongé, ne pouvant avaler quoi que ce soit, arborant pas très
fièrement le teint d'un martien! Tombant de sommeil, Jacques réveillera
Caroline vers 1h00 pour assurer son premier quart. Oeil du bateau pendant quelques
heures, Caroline me racontera ensuite la beauté de cette nuit étoilée
passée seule au milieu de l'Océan. Seules les infos catastrophes
de New-York qui compte ses morts viendront perturber ces instants de magie nocturne.
A 4h00, ne pouvant fermer l'oeil, Jacques reprendra sa place sur le pont...