Côté départ, ça tarde, ça tarde!... A la capitainerie du port, nous sommes presque surpris de voir autant d'équipage en quête d'équipiers. Celui-ci part pour la Nouvelle-Zélande, celui-là pour l'Australie, cet autre immense et superbe ketch en bois de plus de 25 mètres pour les Seychelles, avec le remboursement d'un billet d'avion retour! Par respect de notre parole donnée, nous ne voulons pas faire faux bond à Jacques, notre skipper. Même si cette histoire de grand voile commence sérieusement à durer, nous prenons notre mal en patience.
Quinze jours plus tard, au retour de croisière
du vendeur de voile, la situation n'évolue guère... Manifestement
plus intéressé par le fric que par le travail bien fait, ce pseudo-professionnel
au regard tellement franc qu'il ne quitte jamais ses lunettes de soleil, est
le prototype du frimeur méprisant. Faire du business avec un tel pistolet,
c'est courir au devant des ennuis. Et Jacques s'est jeté dans la gueule
du loup! Avec un sourire dédaigneux, sa première remarque est
de regretter d'être accouru si vite (!) pour un problème si minime!
"Ce n'est certes pas une voile de l'America's Cup", mais pour lui,
la voile est bonne!! Nous sommes atterrés par autant de mauvaise foi!
Le ponton entier est unanime, les professionnels qui ont vu la voile de même...
Jacques est tellement abattu qu'il ne sais plus quoi faire. Dépassé
par les événements, il ne sait pas comment faire évoluer
la situation et se renferme dans une position qui ne permet aucune évolution
de la situation. Son vis-à-vis veut retoucher une fois de plus la voile,
lui veut une neuve. Alors on attend... et on commence à trouver le temps
vraiment long! Le voilier pour la Nouvelle-Zélande attend toujours des
équipiers pour partir...
Seule consolation dans cette attente forcée : la nourriture! Retrouvant
une cuisine digne de ce nom sur le bateau, Caroline prend soin de nous en nous
mitonnant des petits plats que notre réchaud à essence ne nous
permet pas de cuisiner habituellemnt.
Un vrai réconfort!...
Dans un sursaut, Jacques vient de décider
qu'on partira demain! Avec une voile mauvaise et à demie payée
certes, "mais qu'il fera retoucher en Australie". Les papiers de sortie
du territoire sont prêts quand nous le dissuadons d'opter pour cette solution.
Nous ne voulons pas nous sentir complices d'un départ en catimini, d'une
fuite en voleurs. Et Jacques revient sur sa décision, ne sachant maintenant
par où prendre le problème.
Avec Régis, nous allons alors prendre les choses en main. Envoyer tout d'abord une longue lettre descriptive des faits au vendeur, au fournisseur néo-zélandais. Pour accentuer la pression, nous affirmons en avoir envoyé une copie au consulat de Nouvelle-Zélande et à un pseudo avocat. En trois jours, le problème sera réglé! La mort dans l'âme, le vendeur-voyou remboursera l'intégrité des arrhes versées et repartira avec sa voile sous le bras, disant "qu'il ne sait pas faire"!... Le jour même, Jacques trouvera un nouveau fournisseur qui livrera enfin une voile neuve impeccable sous 6 jours!... Le bout du tunnel est enfin atteint.
Après quarante jours d'attente au n°19 du ponton visiteur de la marina de Port Moselle, nous appareillons ENFIN! Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, nous allons enfin faire de la voile! Le programme initial est amputé d'un mois au Vanuatu. Il nous faut en effet impérativement atteindre les côtes australiennes avant la saison des cyclones qui se situe vers le début du mois de novembre... Sinon, ce baptême de voile risquerait fort de ressembler à une extrême onction!... Si les noeuds de marins n'ont maintenant pour nous aucun secret (les plus courants tout au moins!), la grande inconnue reste la vie sur sur un bateau et la mer...
Il
est 8h00 ce 12 Septembre quand nous quittons ce quai que nous commencions à
détester. Les papiers de sortie du territoire sont faits d'hier. A la
radio, les premières informations nous apprennent l'horreur des attentats
de New York. Nous y étions voici dix mois. Comme la planète entière,
nous sommes choqués et sans voix. Nos premières pensées
vont pour Brent, notre copain américain rencontré à Cuba
: il est pilote de ligne sur une compagnie américaine.
Sur le ponton, Jacqueline, Régis et Ian de ZORBA sont venus nous dire
au revoir. Un sentiment bizarre nous anime comme nous nous éloignons
de Nouméa. Les bulletins d'information que nous captons sur la FM sont
en continu. Dans deux jours nous aborderons OUVEA, "la plus belle des îles
Loyautés" nous dit-on...