Reportage précédent Reportage suivantLes ripoux

Provocation à la frontièreEn franchissant la frontière, nous venons de basculer dans un autre monde. Devant la grille, deux hommes agitent d'énormes drapeaux pakistanais en narguant la garde indienne. Mais cela ne nous concerne pas pour l'instant, la cérémonie de baisser de drapeaux est pour tout à l'heure...
Aussitôt, nous sommes dirigés vers un officier qui contrôle nos passeports.
- Bienvenue au Pakistan! Ici vous êtes en sécurité, n'ayez pas peur, nous rassure-t-il comme si nous devions craindre quelque chose alors que nous venons de l'"enfer"... Puis il ajoute :
- Maintenant, dépêchez-vous car les bureaux de l'immigration sont fermés!
Les lourds sacs sur le dos, Abdel chargé comme un mulet qui aurait fait main basse sur la moitié des magasins de souvenir du pays voisins, nous entamons un pénible cent mètres pour rejoindre le bureau d'immigration. Devant une bâtisse défraîchie, trois hommes boivent le thé. Essoufflés, nous les saluons et présentons nos passeports.
- C'est fermé! Revenez demain, dit l'un d'eux d'un ton peu aimable, sans même relever le nez.
- Fermé? nous étonnons-nous. Les bureaux ferment à 16h00 et il n'est que 15h50 (heure pakistanaise, soit une heure de décalage avec l'Inde), il reste dix minutes, les implorons-nous du regard...
Le passeport d'Abdel en main, celui qui nous semble être le chef le questionne:
- Abdul?... Mais tu es musulman toi?...
La bouche en cœur et le verbe mielleux comme un marchand de tapis, Abdel en rajoute et essaie de faire pencher la balance de notre côté:
- Oui, bien sûr! Vous savez, il ya beaucoup de musulmans en France, et ... , poursuit-il essayant de se les mettre dans la poche.
Sans grand succès. Les précieuses minutes s'écoulent et personne ne bouge...
Crevant d'envie de leur dire : "Hé, vous allez vous magner un peu le pompon bande de fainéants. Vous z'êtes pas payés à boire le thé que je sache!... Tu crois pas qu'on va coucher ici non plus!". Mais très rapidement une petite lumière cérébrale nous conseille que les termes ne sont peut être pas appropriés... Sagement, nous gardons alors le silence et attendons patiemment. Abdel, chargé de communication 'dans le civil', essaie de les amadouer sur la corde 'mon pot' musulman' qu'il nous est difficile de jouer, impies de chrétiens que nous sommes. Passage de la frontière

Après quelques minutes de silence, l'un deux se lève finalement, prend nos passeports et nous fait signe de le suivre. En examinant nos papiers, il nous demande, faussement concentré:
- Vous voulez changer des dollars? Des euros?
D'abord étonnés par la question alors que nous sommes sûr de ne pas être dans un bureau de change, nous répondons poliment par la négative. Mais en fait nous ne comprenons que trop son manège: le tampon d'entrée risque de ne pas être totalement gratuit...
Abdel, notre ambassadeur musulman, s'alarme un peu et nous glisse à l'oreille:
- On ferait peut être bien de changer un peu, il ne va pas nous rendre nos passeports sinon...
Beaucoup moins conciliant et ne voulant surtout pas baisser notre pantalon au premier coup de semonce, nous restons fermes :
- Il va aller se brosser le pourri! On a déjà payer nos visas, nous on ne lui graissera pas la patte!
- Euh, non, merci... s'excuse alors Abdel.

Visiblement pas content du tout, notre fonctionnaire, continue à tripoter les paperasses avec une lenteur exaspérante. Comme un leitmotiv qui se veut presque menaçant, il réitère sa demande:
- Combien de dollars voulez-vous changer? insiste-t-il...
Abdel qui ne veut pas de problème, pleure du regard. Je prends alors la parole, sourire diplomatique aux lèvres :
- Nous sommes vraiment désolés, mais nous n'avons pas d'argent.
Persuadé que ces ripoux n'ont pas poussé le bouchon jusqu'à posséder un terminal bancaire électronique, ou même un fer à repasser pour cartes bancaires, je poursuis:
- Désolé, mais nous n'avons que de l'argent en plastique! Nous retirerons du liquide dès notre arrivée à Lahore...
- Il vous reste des roupies indiennes? insiste-t-il, comme si la devise ennemie ne risquait pas de lui brûler les mains...
- Non, rien. Désolé!...

Passablement énervé, il jette finalement l'éponge, saisit ses tampons et valide nos visas. Ouf, la partie vient d'être gagnée! ... Enfin... la première phase tout au moins...
Dès notre sortie du bureau en effet, un autre homme nous interpelle:
- Contrôle des bagages!
Manquait plus que cela! Désespérément, nous tentons un passe-droit qui n'a aucune chance d'aboutir:
- Mais nous allons être en retard pour la cérémonie du baisser de drapeau. Nous ne voulons la manquer sous aucun prétexte, ...
- N'ayez pas peur, c'est dans 30 minutes! Par ici s'il vous plaît! rétorque-t-il d'un ton qui ne supporte aucun commentaire.

Aie aïe aïe! Là, on est mal! Nous venons de gentiment refuser de donner notre obole, nous voilà maintenant totalement à la merci de règlements à géométrie variable. Et de l'humeur d'un fonctionnaire véreux, ce qui malheureusement ici, est souvent synonyme. L'addition risque d'être encore plus salée, Abdel avait peut être raison...Drapeau pakistanais
Dans une pièce immense où des tables sont disposées à cet effet, l'homme nous invite à vider nos sacs. Dans le mien, se trouve l'ordinateur, et nous revoyons déjà le scénario que nous avions vécu à Cuba.
Coopérant avec peu d'enthousiasme, nous feignons de jouer le jeu en sortant le sac de fringues, la gamelle... mais déjà Ripoux 1er a la main dans mon sac:
- C'est quoi çà? questionne-t-il, dissimulant assez mal un sourire victorieux.
Pris la main dans le sac, je la joue copain-copain :
- Ha ça, c'est un petit ordinateur... et là la toile de tente... essayai-je de l'embarquer sur une autre piste.
Mais tel un chien tenant sa proie, il ne lâche pas. Il sait qu'il nous tient.
- Oh mais c'est pas autorisé, ça! (pourri va!), Vous l'avez fait mentionné sur votre passeport?...
dit-il l'air faussement embêté.
Retournant auprès d'Abdel qui a de la peine à ouvrir sa caverne d'Ali Baba, il ajoute, jubilant:
- Et puis là, il y a trop de marchandises dans votre sac, dit-il à Abdel qui transporte des kilos de cadeaux indiens (saris, foulards, produits cosmétiques...).

Jouant cette scène depuis qu'il occupe ce poste, il jette alors un regard scrutateur sur les ouvertures de la pièce, et, sûr d'être à l'abri d'oreilles indiscrètes, baisse alors le ton, comme pour nous faire une confidence:
- Ce que vous avez est interdit, je devrais normalement en référer à mon supérieur, mais bon... Je sais que vous n'êtes pas des terroristes, plaisante-t-il pour mieux nous soumettre. Je sais qu'on peut certainement s'arranger, n'est-ce pas?... V
ous avez certainement des euros ou des dollars à changer, non??...
Enfoiré d'ta mère! Il possède tous les pouvoirs et en joue à volonté.
- Non! nous exclamons-nous en chœur, têtus comme deux Bretons un peu inconscients. Nous n'avons qu'une carte bleue avec laquelle nous allons retirer de l'argent. Nous n'avons pas de liquide, désolés...
Vexé, son visage de vainqueur tourne aussitôt à la tête du fourbe haineux qui vient d'essuyer un camouflet. Tournant les talons, il se dirige alors à grands pas vers la sortie, nous jetant à la face:
- Je vais chercher mon chef!
- Non!! le retient Abdel qui voit déjà les femmes de ces fonctionnaires revêtir les superbes saris encore pliés dans son sac! J'ai un peu de dollars à changer si vous voulez...Garde frontière pakistanais
Dans la seconde, le douanier de-mes deux nous fait signe de ranger nos affaires et de le suivre. Il vient d'obtenir ce qu'il voulait. Le billet de 50 dollars qu'Abdel vient de lui tendre l'a calmé. Calculatrice en main, le douanier agent de change fait alors 'sa' conversion, à un taux préférentiel... C'était gros comme une maison. Mais aussi écœurante que soit la méthode, avait-on vraiment le choix? Nous remercions Abdel, et lui emboîtons finalement le pas. D'ici qu'il ne libérerait que son 'frère-musulman', on serait mal barré!
- On a juste quelques roupies indiennes si ça vous intéresse.
Faux derches de première, j'ajoute :
- Vous avez raison. Pour prendre le bus jusqu'à Lahore, on va avoir besoin de monnaie locale... Il est à combien le taux de change?... (Pour peu je terminerais par un 'mon ami'!!).
Dans l'équivalent des quelques dizaines de francs qui nous reste, nous ne pouvons finalement pas perdre grand chose.
Faisant rapidement le calcul (à un taux 10% inférieur au cours officiel...), les billets changent de main et le fonctionnaire corrompu nous reconduit à l'extérieur. Alors que nous savons parfaitement où nous diriger, nous voulons le quitter sur une bonne note:
- C'est par où la cérémonie du baisser de drapeau?
- Par là, nous indique-t-il avec la main, sans grande conviction.
- Merci beaucoup, au revoir! terminons-nous, au risque d'en faire maintenant un peu trop.
Rageants, nous dressons rapidement le bilan, et tout comptes faits, nous n'avons pas perdu grand-chose à nous trois. Le principe n'en reste pas moins répugnant, et s'avère être une très mauvaise entrée en matière au Pakistan. Nous sommes dans ce pays depuis une demie heure, nous n'avons encore rien vu.
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