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Misère au quotidienNous arrivons à New Delhi dans l'après-midi du 3 janvier 2003, quelques heures après l'heure 'officielle' d'arrivée. Que s'est-il passé? Nous ne savons pas, tant nous avons dormis. Et de toute façon, des heures d'arrivée supposées, il y en avait autant que de quais à notre départ, alors... Le plus important, c'est que nous soyons bien arrivés à New Delhi. Non que nous en ayons douté un seul instant, bien que les mises en gardes réitérées dans les hauts-parleurs des gares ne soient guère rassurantes. Suite à de multiples attentats, les messages officiels conseillent en effet aux passagers de vérifier sous les sièges et dans les wagons, la présence de colis suspects ... qui peuvent être des bombes! Et bon voyage à tous!

Grouillante et toujours aussi polluée, la ville nous apparaît pourtant moins sale que lors de notre premier passage en juin 1998. Sans doute le voyage nous a-t-il habitué à un minimum d'hygiène et de saleté? Aux images de pauvreté également, qui sautent aux yeux dès qu'on pénètre dans une gare indienne. Non que nous y soyons devenus indifférents, mais nous nous sommes endurcis. Extérieurement en tout cas. Comment d'ailleurs serait-il possible de voyager dans ce pays s'il fallait s'apitoyer sur chaque malheur rencontré? La misère est là, omniprésente. Des femmes en haillons traînant des ribambelles de gamins sous-alimentés, crasseux, quand ces derniers ne sont pas laissés à eux-même. Des mendiants à la pelle, estropiés, difformes survivent en décrochant quelques roupies de la poches de mieux lotis qu'eux. Et en tant que touristes, vous représentez bien entendu toute la richesse du monde. Comment en serait-il autrement? Le plus pauvre d'entre nous s'appelle Crésus pour ces hommes et femmes qui n'ont que leur misère pour toute richesse...
Dans ce tableau apocalyptique, il y a aussi, dieu merci, ces sourires éclatants qui nous sont offerts de partout. Dodelinant de la tête avec cette manière qui leur est si particulière, les 'Hello' et 'Welcome' fusent de toute part. Parce que l'Inde c'est aussi et surtout cela: un formidable pays explosant de vie et de joie de vivre, où le meilleur côtoie en permanence le pire. En tout cas, certainement une belle leçon à méditer pour nous occidentaux, nantis de ce monde, qui avons trop souvent perdu ce sourire que nous venons de retrouver ici en Inde.

Nous trouvons rapidement un hôtel dans nos cordes avant d'entamer, dès le lendemain, nos démarches."Ambassade de France en Inde"
Première étape: le renouvellement de nos passeports. Les premiers affichent en effet 'complet', couverts de tous ces tampons et visas représentant plus de deux années de voyage. Mais nous sommes un peu fébriles, après qu'un couple de Français nous ait conté leur aller-retour express Bangkok-Paris, Paris-Bangkok, la fonctionnaire de l'ambassade leur ayant indiqué qu'il était 'absolument impossible de réaliser une telle opération en dehors du territoire français'.
- Ça fait cher le passeport ça!
- Ah, on ne risque rien en essayant ici. D'ici que les règles seraient différentes d'une ambassade de France à l'autre..., essayons-nous de nous convaincre.
En deux temps, trois mouvements, nous sommes rassurés du bon fonctionnement de notre chère administration! Cela ne prendra pas plus d'une demi-heure à l'aimable fonctionnaire de l'Ambassade pour nous fournir des sésames flambants neufs!
C'est donc reparti pour un tour! Tout ceci est de bon augure pour la suite...

De balades dans les rues si vivantes en mise à jour du site (eh oui, encore!), nous essayons également de prévoir la suite du voyage. Ma famille (Yannick) doit nous rejoindre en Égypte dans quelques semaines que nous comptons mettre à profit pour visiter l'Inde du sud. Reste donc à acheter un vol Bombay-Le Caire, et le tour sera joué! A nous donc Madras et Pondichéry, la nature sauvage du Kérala et les plages de Goa.... Après maintes recherches, nous dénichons finalement un vol bon marché sur Gulf Air.
- Les billets seront là demain, nous rassure l'homme de cette agence de quelques mètres carré, paumée dans une des rues en labyrinthes où les vaches sacrées déambulent à la recherche de quelque pitance.
Abdel!C'est au cours de ces démarches que nous rencontrons Abdel, un parisien -mais sympa quand même!-, voyageur au long cours. Gai et dynamique, nous sympathisons rapidement et échangeons des infos sur différents pays. - "Quand un routard, rencontre d'autres routards / Qu'est ce qu'ils se narrent?/... des histoires de routards!"-.
- Hà! nous exclamons-nous. On aurait bien aimé traverser le Moyen-Orient par voie terrestre. Mais vu la situation actuelle... et le manque de temps, on a abandonné l'idée, regrettons-nous, en lui racontant nos projets initiaux et l'achat de notre vol.
- Mais c'est possible de traverser! s'exclame-t-il. Je viens de rencontrer un Français qui vient de le faire avec son camion. D'ailleurs, je vais peut-être remonter avec lui. Je le vois ce soir. Venez avec moi, il est sympa. Il va vous raconter son périple...

Et c'est ainsi que quelques heures plus tard, nous faisons la connaissance de Frédéric, Français d'une quarantaine d'années qui en fait facilement dix de moins!
- On nous a pourtant dit que la frontière terrestre indo-pakistanaise était fermée! assurons-nous. Comment t'as fait?
Il rit:
- Non non, c'est bien ouvert, je vous assure! Je suis venu jusqu'en Inde par la Turquie, l'Iran et le Pakistan, sans problème avec le camion. Je voyageais avec deux amies et une fillette qui, de France, voulaient venir en Inde mais ne pouvaient s'offrir le vol. Comme j'avais envie de venir jusqu'ici, j'ai acheté un camion en Hollande pour une bouchée de pain, je l'ai équipé ... voilà!!
Voyageur-aventurier, Frédéric est un 'vrai' globe-trotter. En quelques phrases, il nous raconte comment il gagne sa vie autour du monde, depuis les rives du Maroni en Guyane, aux routes du Moyen-Orient où il a noué de nombreux contacts. Revenant à ce qui nous préoccupe, nous reprenons:
- Ben oui, ça a l'air facile... Mais t'as eu aucun problème, malgré la situation actuelle?
- Ben... pas vraiment des 'problèmes' poursuit-il, en homme du terrain qui ne se laisse plus impressionner par les aléas inhérents à sa vie de nomade. Bon, la traversée du Pakistan a été une peu "chaude", sourit-il, mais c'est passé!...
Il s'explique plus en détail avec son léger accent du sud qui nous plonge dans ses aventures :
- En fait, en arrivant au Pakistan, les douaniers nous ont imposé un soi-disant "guide" pour traverser la région du Balouchistan, contrôlée par des tribus aussi inamicales que bien armées. Le problème, c'était que ce "guide" ne connaissait rien de la région où il n'était jamais venu! Alors on s'est perdu!!... On a effectivement rencontré ces gens qui ont voulu nous impressionner avec leurs armes et leurs ordres hurlés. " La vache!!"
- Et alors? On fait comment dans ces cas là?
- Ben, moi, ça ne m'a pas perturbé. Si tu perds la face et qu'ils sentent que tu as la trouille, ils te dépouillent! Alors je leur ai fait front. Mais les filles et notre "guide" eux, n'étaient pas rassurés. Finalement tout s'est arrangé, termine-t-il comme s'il nous racontait un retour du supermarché... Ensuite, on est reparti et on a traversé le reste du pays très rapidement, jusqu'à Lahore. Mais les filles, elles, elles ont eu la peur de leur vie. Et du coup, elles ne veulent plus rentrer par là! Elles prennent finalement un vol pour Istanbul, où je les reprendrai avec le camion pour rentrer en France.

Voyageant à travers son récit, nous alimentons toujours et encore la conversation :
- Et ton camion, il est où?
- Ben, ça c'est une autre histoire! Les douaniers indiens ont refusé de laisser mon camion circuler sur leur territoire et l'ont retenu à la frontière indo-pakistanaise. J'ai jusqu'au 24 janvier prochain pour le récupérer... Au-delà de cette date, il appartiendra à l'état indien...
- Ben pourquoi pas!... Du coup, tu rentres bientôt alors? nous enquérons, avec peut être déjà comme une petite idée derrière la tête...
- Oui, oui, dans trois semaines à peu près. D'ici là, je rejoins les filles qui profitent du soleil de Goa. Fais pas chaud ici, hein...
Et la discussion se poursuit encore quelques heures, nous étonnons sur les températures exceptionnellement fraîches sur Delhi - à en croire la radio, nous avons battu un record la nuit dernière avec 4°C -, températures qui nous ont fait ressortir Damart et veste coupe-vent. Et bien sûr, nous parlons de voyage... Il est près de deux heures du matin quand nous décidons de nous séparer, non sans nous être donner rendez-vous pour le lendemain.

Aussitôt seuls, la discussion va bon train:
- Tu penses à la même chose que moi?
- Ben je sais pas... On a fait une connerie en achetant les billets aujourd'hui?...
- Pourquoi? Répondais-je faussement surpris. Tu te vois à la place des filles jusqu'en Turquie?...
- Ben, j'sais pas... Faut voir...la nuit porte conseil...

Pause thé dans la ruePesant et repesant rapidement le pour et le contre, nous retraçons notre parcours.
- Pakistan, Iran, Turquie, Syrie, Jordanie avant d'atteindre l'Égypte dans sept semaines??... Dont trois avant le départ... C'est jouable ça?...
Et nous commençons à mettre des dates sur les pays, rêvant à nouveau de traverser l'Iran, hypothèse abandonnée qu'il nous fait tellement plaisir de ressortir.
- Mais il faudra obtenir les visas! Ce qui risque d'être une sacrée histoire, commençons-nous déjà à nous inquiéter.
- Hé, il faudrait peut être qu'on commence par le commencement, tu ne crois pas? Faut déjà qu'on sache si on peut annuler nos vols et récupérer la caution.
- Et puis faudrait peut être qu'on sache si Frédéric est prêt à nous embarquer!! rigolons-nous comme si cela était déjà une chose acquise après l'excellente impression de cette première rencontre.
- Bon, hé, c'est pas tout, mais il faut peut être qu'on dorme un peu avant. Il est trois heures!!
- La vache! Bon allez, bonne nuit mon aventurière!

Après une courte nuit, nous descendons à l'agence de voyage où, moyennant 15 euros -une coquette somme ici, mais bon...-, nous annulons nos vols avant que les billets ne soient livrés. Et le soir, nous retrouvons plein d'espoir Frédéric et Abdel à la table d'un petit resto. Impatients de savoir ce que sera la suite de notre voyage, nous reparlons de cette future traversée du Moyen-Orient. Sentant que cela ne lui déplairait pas de voyager accompagné, nous nous jetons à l'eau:
- Ça te dérangerait d'avoir de la compagnie pour le voyage jusqu'en Turquie?
- Pas du tout! s'exclame-t-il. Au contraire, c'est plus drôle de voyager à plusieurs...
Nous sommes aux anges!

Plus on est de fous, plus on rit. Abdel dévoile à son tour son jeu:Rickshaws indiens
- T'aurais encore de la place pour moi?
- Pas de problème! Le camion est assez grand pour cinq! Seulement je vous préviens, je ne peux vous emmener que jusqu'à Istanbul, termine-t-il pour être parfaitement clair.
Et nous continuons à mettre au point ce que nous voyons déjà comme une belle aventure à vivre en bonne compagnie. Avant de nous séparer, Frédéric termine:
- Bon, on fait comme ça alors. Je reprends mon camion le 22 ou le 23 (janvier) à Amritsar. On se donne rendez-vous là-bas. De toute façon, on se tient au courant sur Internet. Ça marche?
- Ça roule! répondons-nous ravis que tout se soit passé comme on l'espérait. Bonnes plages!
- Ouais, merci. Salut! nous dit-il avant de nous laisser seuls avec Abdel, tout aussi content que nous.
- Alors comme ça, on ne se quitte plus mes petits chéris! plaisante Abdel dont l'exubérance ne nous surprend plus.
- Ouais, j'en ai bien peur, reprends-je du tac au tac, dans un humour noir qui n'a plus de secret pour lui!
- J'savais qu'j'vous aurais manqué sinon!!
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