Cette
première étape en terre tibétaine nous a donné envie
de voir de plus près cette culture et un mode de vie d'un autre âge,
fascinant. Aussi mettons-nous dès le lendemain le cap sur Xiahe, petite
ville du Gansu connue pour abriter le monastère tibétain le plus
important après Lhassa, le monastère de Labrang. Pour y accéder,
la route qui franchit des cols à près de 6000 mètres est
une piste de montagne. 500 kilomètres nous en séparent et il nous
faudra 3 jours de bus pour rejoindre notre destination.
En bus uniquement et à notre grand regret. En effet, nous essayons bien
une tentative de stop... mais nous nous rendons vite à l'évidence.
A moins de payer 2, 5 ou 10 fois le prix du bus, nous n'avons aucune chance.
Pourtant, la quasi-totalité des rares véhicules empruntant cette
route s'arrêtent, croyant toucher le pactole! Six heures durant, un peu
glacés par le froid, nous tendons le pouce avec une jolie pancarte écrite
en chinois. Vers 16 heures, nous grimpons dans le second et dernier bus de la
journée pour Zoige.
Un bus chinois très particulier sur lequel il convient de s'arrêter
quelques instants. Bus couchettes à la chinoise, il est en fait aménagé
pour transporter des personnes couchées. Moyen de transport très
populaire auprès des locaux, les habituels sièges sont ici remplacés
par 20 lits superposés, disposés sur trois rangées séparées
par deux minuscules couloirs.
En entrant dans le bus, nous avons l'impression de pénétrer dans
une méga-ambulance, capable de déplacer 20 malades à la
fois! De l'extérieur, les deux rangées de fenêtres laissent
apparaître les lits d'où surgissent les têtes des passagers
qui admirent le paysage en position couchée, ou dorment comme dans un
vrai lit roulant.
Sans réservation, nous sommes invités à prendre place entre
les lits, dans le couloir! Assis sur nos sacs, nous trouvons tant bien que mal
une position dans cette promiscuité étonnante, tandis que l'hôtel
roulant poursuit son voyage.
A l'extérieur, le paysage des steppes arides enclavées entre les
montagnes est impressionnant. C'est dans ce décor somptueux que les tribus
de nomades élèvent des troupeaux de yaks que nous découvrons
avec des yeux d'enfants. Plantées au milieu de nulle part, tels des villages
mobiles, des yourtes abritent ces nomades tibétains composés parfois
de plusieurs dizaines de tentes. Vêtus de peaux de bêtes et de costumes
traditionnels, ces hommes et femmes au faciès très particulier
nous laissent sans voix. A 15 km/h de moyenne nous traversons ces étendues
sauvages sans nous arrêter, beaucoup trop vite en somme... Parfois, nous
rêvons de posséder notre propre moyen de locomotion. Deux vélos par exemple...
Il est 23h lorsque nous atteignons Zoige, un frigo au milieu de rien! Rapidement,
nous trouvons une chambre minable dans un hôtel qui se donne des allure
de grand luxe. A la réception, les tarifs sont affichés: 280,
350 yuans la chambre, soit près de 50 euros la nuit.
- Mais vous n'avez rien de moins cher? implorons-nous presque le standardiste.
Après moults explications, nous réussissons à lui faire
dire qu'il possède des chambres 'économiques' sans chauffage,
qu'il n'ose pas nous proposer!! En lui forçant un peu la main, nous parvenons
à en obtenir une à 20 yuans (2,7 euros), après négociations!
Le ventre bien creux, nous avalons rapidement une soupe instantanée et,
entièrement 'damarisés', nous nous glissons dans nos sacs de couchage.
Dans la chambre, il ne fait pas 5 degrés...
Il est 5h30 quand nous nous levons. Les sacs faits en 5 minutes, nous descendons
dans la rue à la recherche de la station de bus. Pendant la nuit, il
a neigé quelques flocons. Sans bonnet ni gants, nous nous réchauffons
comme nous pouvons.
- C'est marrant, il y a juste un an aujourd'hui, on était à Torrès
del Paine, au Chili. Et si tu te rappelles, c'est là que nous avons eu
notre première averse de neige!
- Comment tu retiens la date, toi? demandai-je, stupéfait par la mémoire
éléphantesque de Caroline.
- Ben aujourd'hui, on est le 25 mai...
- Ah oui, c'est vrai, le jour de l'anniversaire de Jeanne (ma nièce)!
C'est rigolo, non?
- Oui, mais ça caille!
Dans cette rue mal éclairée, un passant matinal nous indique l'arrêt
de bus où attend déjà un homme.
- Hezuo? questionnons-nous.
- You! (Oui), nous rassure-t-il. A 6h15, précise-t-il en indiquant l'heure
avec les mains.
Un quart d'heure plus tard, comme des ombres fantomatiques, deux puis encore
deux autres touristes facilement reconnaissables à leur sacs à
dos, nous rejoignent.
- Mais on vous connaît, vous! nous exclamons-nous en reconnaissant Catherine
et Kamel, un couple de Français rencontrés furtivement à
Songpan.
- Mais vous faites quoi, ici?
- Ben comme vous, je pense. Vous allez à Hezuo, vous aussi?
- Oui!
Bientôt
rejoints par Julien (un autre Français) et Jason, l'Anglais avec qui
ils ont fait la route hier, nous faisons plus ample connaissance.
Catherine et Kamel voyagent en Chine depuis maintenant 7 mois. Sinophones, leur
expérience nous est d'un grand secours au moment de grimper dans le bus.
- Mei you! (Non!) refuse la contrôleuse des billets quand nous tentons
de grimper dans le bus sans billets.
Ici en effet, les tickets de transport s'achètent normalement la veille
du départ, la vente dans le bus n'étant possible que s'il reste
de la place. Et là, le bus est complet!...
Forçant le passage dans la confusion précédant le départ,
nous nous glissons finalement à l'intérieur tandis que Kamel joue
le diplomate dans un chinois qui nous épate.
Sur le qui-vive, nous nous faisons tous petits, craignant d'être virés
comme des intrus à tout instant. Nos sacs sont déjà sur
le toit, mais rien n'est sûr... Et finalement, après négociations,
Kamel obtient notre maintien dans le bus! Debouts, certes, mais nous n'avons
pas à attendre le prochain départ... prévu demain matin.
Onze heures -dont huit debout!- nous sont nécessaires pour atteindre
Hezuo. Onze heures physiques sur cette piste de montagne, mais onze heures de
vrai bonheur. Les paysages exceptionnels de ces hauts plateaux couverts de neige,
déserts d'altitude encadrés par des sommets dépassant les
5000 mètres, nous coupent le souffle.
Sous le bleu limpide du ciel, des yourtes de nomades, des troupeaux de yaks
donnent à l'ensemble une impression d'irréel.
Passionnés de photos, nous trouvons immédiatement des affinités
évidentes avec Catherine et Kamel. Face à de tels tableaux, nous
voudrions nous arrêter tous les kilomètres pour fixer ces paysages
sublimes.
- Regarde! Là, la photo à prendre...
- Ouais, mais avec les fils électriques qui coupent la photo en deux,
il faudrait déclencher de là-bas!
Et à notre grand regret, le bus n'ira jamais 'là-bas'!... Et nous
nous reprenons à rêver de notre propre véhicule...
La tête et les yeux pleins d'images, nous atteignons Hezuo vers 17h. Le
dernier bus pour Xiahe vient de partir, nous nous résignons à
passer la nuit ici.
Naturellement, alors que le courant passe bien entre nous, nous faisons encore
route ensemble dès le lendemain matin. Deux heures et demies de bus nous
suffisent pour atteindre cette seconde étape en pays tibétain:
Xiahe.
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