Jeudi
23 Mai
La température avoisine les 5 degrés dans la chambre, ce matin
quand nous nous réveillons. Emmitouflés dans nos sacs de couchage,
l'épaisse et lourde couette locale posée sur le tout, nous repoussons
le moment héroïque où il va falloir sortir du lit. A travers
la carreau cassé d'une des fenêtres, nous entendons la ville se
réveiller tout doucement.
Caroline ne va pas très bien. Depuis quelques jours déjà,
elle sentait le mauvais rhume tourner en bronchite. Ce matin, elle a de la fièvre
et une vraie tête de malade. En dépit des médicaments locaux
à base de plantes qu'elle prend depuis deux jours, le mal est là.
Aussi décide-t-elle prudemment de rester au lit.
Pour ma part, je décide de partir marcher seul sur les hauteurs de Songpan.
Et même si cette décision paraît évidente, ça
me fait tout bizarre de partir sans Caroline. Bien sûr, cette escapade
ne durera qu'une poignée d'heures, mais tout de même...
En gravissant le le petit chemin très pentu qui conduit au village de
Chimiti, les idées me courent dans la tête. Si j'ai envie de découvrir
ces paysages superbes des versants ouest de la vallée, ne pas les partager
avec Caroline est frustrant. Bien sûr, au retour je lui raconterai tout
ça, mais "c'est pas pareil!". Partager quelque chose
est beaucoup plus fort que de le vivre seul. A cet instant, je me demande vraiment
si voyager seul me donnerait autant de satisfaction... Je ne crois pas.
Gravissant maintenant des pentes à plus de 30%, je m'élève
rapidement au-dessus de 3000 mètres. Le souffle court, les nombreuses
haltes me permettent d'apprécier le paysage magnifique qui s'offre à
moi. Au fond de la vallée, Songpan s'étale le long de la rivière
qui la coupe en deux. Sur les versants, les cultures en terrasses habillent
les montagnes de formes géométriques très esthétiques.
Des centaines de micro-parcelles quadrillent ainsi le paysage, ne dépassant
souvent pas plus d'une dizaine de mètres carrés. Depuis le sommet
où je me suis perché, j'observe la vie alentours. Dans ce silence
joyeusement rompu par le chant des oiseaux, tels de petites fourmis à
peine visibles, des paysans bêchent la terre, parfois à plusieurs
kilomètres de toute habitation. Tout
au loin, les sommets de plus de 5000m sont couverts de neige. C'est tout simplement
superbe et je ne regrette qu'une chose: que Caroline ne soit pas là pour
profiter de ce spectacle exceptionnel. Me lançant à l'assaut du
prochain col, il me faut encore marcher une bonne heure avant d'apercevoir,
perdu au milieu de nulle part, un petit village tibétain facilement reconnaissable
à ses nombreux drapeaux à prières qui flottent au vent.
A l'approche de celui-ci, des femmes dans les champs me font signe de m'approcher.
Étonnés de voir un touriste leur rendre visite, elles rigolent
et s'apostrophent à mon approche.
- Ni Hau! (Bonjour!), me risquai-je.
- Ni Hau, Ni hau!
Couvert de questions auxquelles je suis bien incapable de répondre, j'essaie
de me faire comprendre par des signes. "Il fait beau; c'est joli, ici;
la montée est difficile; vous cultivez des légumes, vous habitez
ici?.., etc., etc..." Et une fois de plus, l'appareil numérique
me sert de laisser-passer.
- Je peux traverser le village et redescendre sur Songpan par l'autre versant?
mimai-je en quelques gestes choisis.
- You! (Oui) me répond-on en cur tandis qu'une jeune femme pose
son outil et m'invite à la suivre à travers les habitations de
ce village tibétain. Comme hier, je suis étonné par la
présence d'électricité et surtout par la pollution visuelle
des dizaines de paraboles qui fleurissent dans tout le village, comme un anachronisme.
Ici, l'eau courante n'existe pas et au moyen autre que le cheval n'est utilisé.
Boueuses, les ruelles en pentes qui relient les habitations sont glissantes.
Aussi, il faut être très prudent pour éviter à plusieurs
reprises une chute qui ne manquerait sûrement pas de faire rire tous les
habitants qui suivent du regard le faguo (français) perdu ici, à
Chitimi.
Dans les cours, des chiens attachés (ouf!) annoncent la présence
de l'intrus à ceux qui ne seraient pas déjà au courant.
Au passage, un homme assis sur un tas de fagots me fait signe d'approcher. Âgé
d'une trentaine d'années, il semblait m'attendre, accompagné par
deux gamines toutes intimidées. Le sourire accueillant m'annonce déjà
que je suis le bienvenu. Après quelques échanges mimés,
je demande l'autorisation de prendre une photo.
- Non, non! s'exclame-t-il. Nos habits ne sont pas propres, me fait-il comprendre!
je vais changer la petite.
S'il me paraît plus intéressant de saisir des instants de vie sur
le vif, sans artifices, la situation me fait sourire. Deux minutes plus tard,
ressortant de la petite maison en torchis, notre homme réapparaît
avec un large sourire, sa fille revêtue d'un blouson neuf de style moderne,
qui cache à mon grand regret sa tenue quotidienne, maculée de
boue.
Après une seule pose -de médiocre qualité - malheureusement,
les piles de l'appareil décident de me laisser en rade, juste après
que j'ai eu le temps de faire visionner à toute la famille émerveillée,
la photo au dos de l'appareil. Et là encore, le succès est assuré!
- Tu as mangé? me fait comprendre l'homme.
- Pas encore, mais j'ai ce qu'il faut, précisè-je en ouvrant mon
sac à dos pour lui montrer mon pique-nique.
- Alors viens manger avec nous! m'invite-t-il en ouvrant la porte.
Partagé entre un refus poli qui serait peut-être mal perçu
et une vrai envie de partager un moment très particulier dans cette maison
tibétaine, je finis bien évidemment par accepter, offrant mon
pique-nique fait de pain et de viande de yak séchée, en remerciement.
Accueilli
à bras ouvert par sa très jolie femme, je mesure la valeur du
cadeau qui m'est offert. Assis près du mini-poêle sur lequel chauffe
un bouillon de légumes et de viande, je partage bientôt la soupe
de larges pâtes tibétaines qui m'est présentée.
Sonanstri a 34 ans, sa femme Tsomotchi 32. Tibétains, ils vivent dans
cette petite maison composée de deux pièces avec leurs deux filles,
Konchoudroma âgée de 6 ans et Gobotandrou qui n'a que 3 ans. Entre
les gestes, les regards et sourires partagés, nous parvenons à
établir un dialogue. Simple, mais un vrai échange. Impressionnées
et timides au départ, Konchoudroma et Gobotandrou deviennent rapidement
mes copines, sous les éclats de rire des parents qui assistent à
nos jeux.
Une petite heure plus tard, je prends à regret congé de mes hôtes
que je ne remercierai jamais assez. Les sourires éclatants, ils me laissent
reprendre mon chemin, en m'accompagnant tous les quatre de grands gestes de
la main, jusqu'à ce que je disparaisse derrière la montagne. Ému,
je pense à Caroline et à tout ce que j'aurai à lui raconter
au retour. A l'heure qu'il est, elle doit se reposer...
Une heure et demie me sera nécessaire pour regagner la vallée
par un chemin différent. A mon retour à l'hôtel, Caroline
se réveille à peine.
- Alors c'était bien?
Et de lui raconter ma balade...
Yaca.net ®Un tour du monde avec nous - Textes et Photos©2000-2010 - Yaca - Tous droits réservés