Reportage précédent Reportage suivantPèlerins bouddhistes

Pélerines tournant les moulins à prièreC'est dans cette partie ouest de Xiahe que nous allons prendre pension pour neuf jours. Logés dans l'enceinte-même de cette ville-monastère dont le temple principal fût édifié en 1709 - et qui sera détruit en partie pendant la révolution culturelle -, nous avons le sentiment d'appartenir à un autre monde, ou plus exactement, d'avoir fait un voyage dans le temps. Haut lieu religieux pour les bouddhistes, le monastère de Labrang est en effet le théâtre d'un pèlerinage permanent, digne des plus grandes heures de la ferveur catholique en Europe ... au Moyen-âge! Nomades venus de nulle part, les pèlerins viennent ici témoigner de leur ferveur religieuse, Lunettes de soleil typiquement tibétaines!tournant inlassablement dans un rythme effréné sur le chemin de pèlerinage de 3 kms qui ceinture le monastère principal. Au passage, ils actionnent de la main droite chacun des 1174 moulins à prières que compte ce chemin couvert. Impressionnants cylindres de cuivres martelés dans lesquels sont enfermés des parchemins de papier sur lesquels sont imprimées des soutras -discours du Bouddha-, le principe du moulin à prières est, pour celui ou celle qui le fait tourner sur son axe, d' "acquérir des mérites afin d'obtenir une vie meilleure dans sa prochaine réincarnation". En clair, quand on tourne un moulin à prières, les prières se disent toutes seules, ce qui parait quand même magique, et quand même vachement plus rapide qu'une astreignante lecture, surtout quand on ne sait pas lire, ce qui est quand même monnaie courante ici!... A quand les moulins à prières électriques??... Ah, progrès quand tu t'empares de la religion...Burinée par le soleil...

Habillés de vêtements traditionnels qui préfèrent les fourrures et autres peaux de bêtes aux fibres synthétiques, ces hommes et femmes sans âge nous fascinent tant ils semblent appartenir à un monde différent du nôtre. Les cheveux hirsutes ou soigneusement peignés, couverts de haillons informes ou savamment vêtus, le défilé de mode tibétaine qui nous est offert est stupéfiant. Des heures durant, nous assistons sans nous lasser à ce spectacle hors du commun. Les faciès burinés et les peaux cuivrées par les soleil d'altitude nous rappellent étrangement des visages déjà vus dans un voyage précédent sur l'altiplano bolivien. Plus étrange encore, certaines coutumes vestimentaires, tel le port du chapeau, les tresses nouées entre elles sur le dos ou encore les épaisseurs de jupes aux motifs colorées, nous laissent croire que nous sommes vraiment dans la cordillière des Andes! Nous ne voyons pas comment un lien de parenté pourrait exister entre les deux peuples, mais force est de constater que la coïncidence est surprenante.

Pèlerin ou pèlerine??....Peu à peu, au fil des jours, notre présence intrigue moins et nous commençons à entrer en communication avec ces hommes et ces femmes d'un autre temps. Les deux ou trois mots de tibétains que nous venons d'apprendre constituent un passeport immédiat qui permet de passer bientôt de l'indifférence presque méfiante à un accueil souriant teinté de curiosité réciproque. Le contact établi, nous obtenons alors facilement l'autorisation d'immortaliser ces instants et ces visages hors du commun sur pellicule. Plus magique encore, 'Ma p'tite bonne femme'!l'appareil photo numérique excelle dans sa fonction de 'faiseur de contact'. Rapidement, c'est bientôt l'attroupement autour de nous, chacun désirant se voir (ou voir son voisin) capturé ainsi sur l'écran digital qui fait figure d'objet magique. Du moyen-âge, nous venons de sauter au XXI ème siècle sans aucune transition! Connus et reconnus après quelques jours, faisant le pitre et jouant de cet avantage technologique qui ne laisse jamais vraiment indifférent l'interlocuteur, nous entrons ainsi en contact avec ces gens qui nous fascinent tout autant que notre jouet les émerveille.
C'est ainsi que tous les jours je m'amuse avec celle que j'ai surnommée 'ma p'tite bonne femme', facétieuse grand-mère tibétaine dont le regard pétillant est un régal. Farouche au départ, elle s'est peu à peu laissée approcher, mourant d'envie de se faire prendre en photo! Égrainant un chapelet bouddhiste à la vitesse vertigineuse de ses 'Om mane padme Um', je la taquine et répète ses litanies derrière son dos. Amusée par mon accent sûrement trop catholique, elle me reprend alors, me faisant comprendre de répéter après elle : 'Om mane padme Um', avec un 'Um' qui demanderait à être écrit avec un 'h'! Et 'ma p'tite bonne femme' de me faire répéter et répéter encore, comme une bonne vieille grand-mère malicieuse qui enseignerait ses prières à son petit-fils qui se moquerait gentiment d'elle... L'arroseur arrosé en somme! Et ces ainsi que tous les jours -quasiment-, nous ne nous pas sans nous saluer avec un sourire large comme ça, au son d'un 'Om mane padme HHUm', décidément perfectible si j'en crois ses gloussements moqueurs...

Chemin de croixPendant ce temps, de l'aube à l'aurore, des centaines de pèlerins tournent inlassablement - dans le sens des aiguilles d'une montre, et uniquement dans ce sens!- autour des temples, mettant en action de Dévotion absoluela main droite souvent habillée d'un gant, les moulins à prières qui disent silencieusement leur soutras. A longueur de journées et jour après jour, nous reconnaissons des pèlerins qui, d'un pas alerte et décidé, font et refont religieusement le même parcours, tels des robots. Plus étrange encore, certains pèlerins poussent la ferveur religieuse jusqu'à réaliser leur parcours en se prosternant au sol à chaque pas. Pauvres erres crasseux, ces hommes et femmes témoignant d'une condition physique impressionnante, nous laissent sans voix.
Sur le sol boueux détrempé par les averses nocturnes, cette femme âgée que nous suivons des yeux avance sans se soucier des regards posés sur elle. Les genoux et les mains protégés par des morceaux de peaux animales, elle se prosterne sans fin et murmurant des prières à peine audibles. Alors qu'elle traverse maintenant la rue principale sans s'inquiéter d'avantage du peu de circulation, un camion s'est arrêté pour lui permettre de poursuivre son pèlerinage. Enfermée dans son monde, à une allure d'escargot, elle traverse ce 'passage-piétons' sans modifier son mouvement, et poursuit sa ronde infernale... Le camion vient de redémarrer.
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