Notre présence sur cette partie méridionale de la route de la soie ne pouvait se passer d'une visite dans une fabrique de ce qui a fait l'histoire de la région : la soie. Tradition multi-centenaire, cette fibre naturelle produite par le bombyx du murier, plus connu sous le nom de ver à soie, est à l'origine de bien des fortunes qui ont fait le mythe de la route qui porte son nom. Si la production de la soie s'est largement exportée à travers le monde, les techniques industrialisées, l'Orient reste le berceau de cette tradition. A l'écart du monde et du progrès, garants d'un savoir-faire qui n'a pas évolué depuis les origines, il subsiste encore quelques lieux hors du temps où le travail de la soie n'a pas bougé d'un fil au cours du temps. L'oasis de Jiyaxiang vers laquelle nous nous dirigeons aujourd'hui est l'un d'entre eux. Perdue en plein désert, elle ne doit sa survie qu'à la présence de canaux d'irrigation d'où dévalent à gros débit des quantités impressionnantes d'eau. En quelques mètres, le sol sablonneux et aride laisse place à une immense tâche verte où les arbres vigoureux et plantés drus, les cultures de maïs et de toute sorte sortent du sol comme par miracle. Pour les néophytes du désert que nous sommes, ceci reste magique.
Comme rien ne semble jamais
simple en Chine, nous mettons plus de deux heures pour atteindre ce bout du
bout du monde où les bus locaux ne se rendent même pas! A force
de ténacité, en bus, en stop dans une charette, à pieds,
puis dans un camion, nous touchons notre but ... situé à seulement
11 kilomètres au nord-est de Hotan!! Intrus dans le village, nous sommes
très rapidement refroidis par l'accueil glacial de la population. A nos
bonjours renouvelés à chaque rencontre, une infime quantité
de réponses semble nous indiquer que nous ne sommes pas les bienvenus.
Optimistes, nous nous accrochons aux rares sourires captés ici ou là...
Minuscule entreprise artisanale, une pancarte annonce sa présence à
la sortie du village.
- Tu paries que c'est fermé!...
- Mais non, regarde, il y a des femmes dehors...
Invités à regarder leur travail, le temps de passer sous des écheveaux
de fils récemment teints et nous sommes à leurs côtés.
Devant nous, trois femmes musulmanes dévident les chrysalides de leur
précieux fil.
Des bouillottes où elles se ramollissent, une odeur pestilentielle se
dégage. N'utilisant pour seuls outils qu'un simple
morceau informe de bois avec lequel elles éclatent les cocons avant que
le fil ne s'y accroche, et une passoire pour égoutter ce sac de nud
informe, on imagine mal, à ce stade de production que cette étape
est la première dans la réalisation d'un tapis traditionnel!
La seconde opération qui suit l'opération de dévidage,
consiste à assembler de 4 à 10 fils monobrins entre eux. Utilisant
pour ce une roue qu'elle tourne à la main, une femme plus âgée
récupère alors les fils qu'elle assemble entre eux avant de les
conditionner sur une bobine. Tout ceci paraît encore relativement simple,
si les fils ne cessaient de casser, demandant des raccords toutes les deux secondes!!
Archaïque, la méthode est fastidieuse et nous laisse pantois. Toute
leur vie, ces femmes seront réduites à répéter inlassablement
les mêmes opérations, les mêmes gestes, respirant les mêmes
vapeurs qu'elles ne sentent probablement déjà plus. Les bras nous
en tombent. Devant nous, des kilomètres de fils de soie bobinés
attendent l'opération de teinture...
Nous
ne verrons rien de cette phase, réalisée toujours en plein air,
avec des colorants naturels, comme autrefois.
Maintenant dans un atelier où deux femmes âgées travaillent
à même le sol, nous assistons au bobinage des écheveaux
de fils teints en vert, bleu, rouge ou encore jaune. Grâce à des
métiers de bois et une roue de vélo que l'on tourne à la
main, les bobines sont préparées et prêtes à être
utilisées sur les métiers à tisser. On croit
rêver tant tout le système ressemble à du bricolage. Savant
sans aucun doute car le système a fait ses preuve. Nous nous demandons
encore on peut obtenir un fil est aussi régulier en fin d'opération!
Un savoir faire exceptionnel, sans aucun doute...
Dans la même pièce, une femme, un homme et un enfant d'une dizaine
d'années ont pris place sur des métiers à tisser flambant
neufs, mais d'un modèle archaïque. Telle une nonne en prière,
la femme ferme les yeux, endormie sur son ouvrage.
Dans un silence seulement troublé par la mécanique actionnée
manuellement des métiers, des pièces de tissus aux motifs traditionnels
de la région voient le jour sous nos yeux.
Comme il y a plusieurs siècles.
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