Les
discussions à l'abri des oreilles indiscrètes que nous avons eu
avec des Ouighours qui se défendent bien d'être "traités
de chinois", nous ont déjà planté le décor.
Administrée par les Chinois, la Kasgharie, comme elle est parfois appelée,
appartient à un univers radicalement différent. Terre d'Asie centrale,
elle ne partage avec la Chine, ni la langue, ni l'écriture, ni la religion,
ni la culture, ni la cuisine, rien! Même la population ne peut physiquement
être confondue avec les hans, l'ethnie ultra majoritaire en Chine, et
bien que n'ayons passé aucune frontière, nous venons d'entrer
dans un nouveau pays.
Peuple "regorgeant de
séparatistes", donc terrorristes en puissance à surveiller
de près, les Ouighours suscitent bien des inquiétudes de la part
des Chinois hans, et ce depuis toujours. Aussi, 'pour le bien de Chine, Une
et Indivisible', les hans se sont implantés ici en grand nombre, au grand
dam des ouighours qui utilisent plus souvent des
noms d'oiseaux pour parler de leurs "cochons d'occupants"... Dans
cette ambiance de franche camaraderie (!), la séparation qui marque les
deux communautés est saisissante. Comment d'ailleurs pourrait-il en être
autrement alors qu'un nombre restreint de Ouighours parle la langue chinoise
- ressentie comme une trahison envers son peuple?- et qu'aucun chinois ne parle
ouighour! A notre grand étonnement d'ailleurs, l'enseignement est ici
dispensé en langue ouighoure - qui utilise l'alphabet arabe-, alors que
le chinois n'est qu'une seconde langue obligatoire. Il est vrai que dans les
faits, nul ne pourra occuper un poste à responsabilité, ou administratif
sans une parfaite maîtrise
du
mandarin. Sous couvert d'ouverture, le contrôle des hans reste alors total.
Reste pour ce peuple un sentiment d'oppression et une haine sous jacente qui
gronde. Pour seule réponse, les chinois surveillent, épient, écoutent,
contrôlent et matent tout ce qui porte -ou pourrait porter, ce qui élargit
le champ d'action...- atteinte à la Grande Chine. La répression
est alors sans merci, très 'chinoise' en somme, avec des emprisonnements
sans véritable procès, des exécutions 'pour l'exemple'...
Toutes ces histoires qui nous sont racontées sous le manteau témoignent
du profond malaise, ce qui ne fait qu'attiser les vélléïtés
indépendantistes des plus radicaux. Un scénario malheureusement
peu original sur notre bonne vieille planète...
Tournons maintenant cette
page qui demanderait beaucoup de temps et de connaissances de notre part pour
nous attacher à un aspect beaucoup plus souriant de cette
oasis mythique, Kasghar, dont le nom semble sorti tout droit d'un conte des
'Mille et Une nuits'.
Et c'est vrai qu'ici la magie opère dès votre arrivée.
Plus que les mots, ce sont des centaines d'images qui nous sautent au visage,
nous transportant une fois de plus dans un monde aux couleurs, aux odeurs moyen-orientales
qui nous fascinent tant. Dans
une cohue de bazar permanent, la rue est ici un spectacle à elle-seule.
Sous les fumées odorantes
des shish-kebabs que l'on prépare ici à même la rue, à
quelques pas des fours circulaires où les boulangers cuisent des galettes
de 'vrai' pain, ici, tout semble festif! Même les incorrigibles rabatteurs
qui nous crient dans les oreilles nous sont sympathiques! Kasghar la mystérieuse
nous a envoûtée...
Divisée en deux parties
distinctes, Kasghar garde pourtant de moins en moins de traces de son glorieux
passé, anéanti peu à peu par un urbanisme 'à la
chinoise', hideux, sans vie, et qui fait surtout table rase du passé.
A coup de bulldozers et de pelleteuses, la vieille ville est ainsi peu à
peu grignotée, les chinois préférant de loin les larges
et interminables avenues asphaltées, bordées par d'immondes immeubles,
aux labyrinthes mystérieux des ruelles étroites en terre battue,
derrière les murs desquelles se cachent les habitations hautes en couleurs,
dès qu'une porte entrouverte
veut bien nous laisser découvrir ces richesses insoupçonnées.
Dans cette ambiance très
particulière qui nous rappelle la médina de Marrakech, nous aimons
nous perdre, à l'ombre des
murs en torchis hauts de plusieurs mètres et des passages couverts étayés
par des troncs d'arbres mal dégrossis.
Très rapidement, des ribambelles
de gamins avec lesquels nous jouons, nous accompagnent dans des rires et des
cris que nous retrouvons chez tous les enfants du monde. Au détour d'une
rue, c'est Osman, l'ancien maître d'école, qui nous invite à
partager le thé et le pain dans sa demeure où les tapis orientaux
nous accueillent chaleureusement. Comme ça, simplement pour le plaisir
de partager un moment agréable avec des inconnus que nous ne sommes plus
tout à fait en sortant...
De retour dans la ville nouvelle,
sur les larges chaussées à
la chinoise où les véhicules motorisés sont monnaie courante,
l'omniprésence des vélos, triporteurs et surtout des attelages
d'ânes ou de chevaux nous annonce la couleur orientale. Dans les charrettes,
des familles entières se déplacent, dans des costumes que nous
n'avons encore vu nulle part.
- Yerchemsis! (bonjour), lançons-nous en réponses aux sourires
qui nous souhaitent la bienvenue, à moins que ce ne soit seulement que
regards curieux qui se posent sur nous.
- Yerché, yerché! nous répond-on toujours très étonné
et visiblement ravis que des étrangers parlent ouighour!!
Et même si notre vocabulaire est limité à une dizaine de
mots, nous comprenons que nous leur faisons honneur en les reconnaissant en
tant que ouighours. D'un côté,
nous avons peu de mérite, les faciès sont tellement différents!
Et quand bien même nous aurions de
la
peine à les distinguer, on peut à coup sûr reconnaître
un ouighour au couvre-chef qu'arbore une grande partie des hommes. Plus qu'un
chapeau, cette calotte traditionnelle très particulière est leur
emblème, presqu'un drapeau qu'on ne quitte que pour dormir.
Toute cette âme si particulière
de la Kasgharie semble se concentrer lorsqu'on
aborde le sacro-saint marché du dimanche. Rendez-vous hebdomadaire incontournables
pour les marchands et paysans qui affluent de toutes parts en charette tirée
le plus souvent par un âne, 'le marché de Kasghar' vaut à
lui seul le détour. Dans un capharnaüm indescriptible dont seul
l'orient à le secret, des milliers de personnes viennent ici acheter
et vendre tout ce qu'il est possible d'imaginer. Sous un marché couvert
digne des souks magrébins ou istambouliotes, les tissus, fourrures, et
vêtements en tout genre cotoient les instrument de musiques, tapis, tableaux
ou encore pièces détachées
pour vélo ou confiseries orientales... Dans les rues, à même
le sol ou sur des étals de fortune, des marchands de viande, de légumes,
des rémouleurs, des coiffeurs, vendeurs de fourches en bois, de coffres
sculptés, de radios-cassettes hurlants à tue-tête et que
sais-je
encore
se mélangent dans une confusion indescriptible. Spectateurs incrédules,
nous ne savons où donner de la tête, tant les visages les costumes,
les coutumes, bref, tant tout nous est étranger! Même les femmes
nous surprennent ici... Alors que nous nous attendions à une plus grande
distance de leur part en ces terres musulmanes, les tenues vestimentaires et
les regards coquins des plus jeunes d'entre elles ont de quoi dérouter!
Derrière ces grands yeux expressifs
qui se laissent facilement photographier, celles que nous avons surnommées
les 'ouighourettes' révèlent la force d'un caractère oriental
indomptable. Est-ce là l'âme du peuple ouighour?... Qui sait...
De retour dans la chambre
de notre hôtel qui sert de refuge à des dizaines de 'busimen' pakistanais
en tunique traditionnelle, nous replongeons dans un autre univers. Locaces,
hâbleurs, ces marchands de "tout ce qui se vend de l'autre côté"
-au Pakistan- vivent ici libérés des contraintes du régime
islamique d'Islamabad, venus le plus
souvent en célibataires faire des affaires. Si l'on considère
leur nombre impressionnant de ce côté-ci de la ville, le filon
doit être porteur...
C'est
en compagnie de Catherine et Kamel que nous venons de retrouver ici même,
que nous suivons -comme jamais nous ne l'avons encore fait!-, les deux ou trois
matchs quotidiens de la coupe du monde! Une vraie overdose pour des amateurs,
loin d'être des inconditionnels du ballon rond, que nous sommes. L'élimination
des français digérée ("Trop payés!"; "Mouille
ton maillot!"; "Achète une mobylette!", etc, etc...),
nous prenons plaisir à nous retrouver et commenter ensemble l'arrivée
d'équipes 'neuves' et jusqu'alors inconnues à ce stade de la compétition.
Cette pause 'coupe du monde' nous permet également de nous poser et reposer
un peu de cette chaleur étouffante et des kilomètres parcourus.
Les "aventuriers" sont devenus des presque-sédentaires, collés
3 à 5 heures par jour devant un poste de télé chinois!
Honte à nous!! Mais on s'en fout, on l'dira à personne!...
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