Depuis
quelques semaines maintenant, l'idée de changer notre matériel
photo nous trotte dans la tête. Et le prix du matériel ici en Chine
nous fait y réfléchir une nouvelle fois. Avec des prix inférieurs
d'un tiers -voire de la moitié sur certains produits- par rapport aux
tarifs hexagonaux, ceci signifie qu'on peut obtenir ici à Pékin,
du matériel professionnel neuf pour le prix de l'occasion! Cela paraît
fou, et, même si cela représente encore un gros investissement,
l'occasion est rêvée. Et sans trucage, il ne peut s'agir de copie,
c'est tout simplement impossible.
Alors que j'hésite encore, avançant d'un pas pour reculer de deux,
un mail de Catherine et Kamel depuis Hongkong où ils viennent d'arriver,
me mettent littéralement KO. Photographe (très) averti, Kamel
nous communique les tarifs du matériel photo, qui s'avère être
encore d'un autre tiers inférieur à ce que nous avons vu à
Pékin! C'est à tomber sur la tête!
Pesant et repesant ce qu'engendrerait un tel trou dans notre budget, nous avons
de la peine à franchir le pas. Alors que Kamel nous dit que ces prix
risquent de ne pas durer, nous décidons de saisir cette occasion unique
d'avoir enfin du matériel irréprochable. Fatiguée, Caroline
est peu tentée par cette escapade de 5000 kilomètres aller-retour,
et c'est donc tout seul que je rejoins Catherine et Kamel au cur de cette
ancienne colonie britannique.
Rétrocédée à la Chine le 1er juillet 1997, le statut
de cette 'région administrative spéciale' demeure un bricolage
à la chinoise un peu difficile à saisir. Bien que partie intégrante
de la République Populaire de Chine, cette enclave qui symbolise on ne
peut mieux le capitalisme, possède un statut très spécial
qui la fait étrangement ressembler à un pays, au sein-même
de la mère patrie. La frontière qu'il faut passer en est le premier
symbole, peut-être le plus frappant. En entrant à Hong Kong, nul
besoin de visa chinois par exemple. Pour retourner à Pékin en
revanche, il me faudra acquérir un nouveau sésame, ce qui n'est
ici qu'une formalité coûtant la modique somme de 160 $HK, soit
environ 20 € les trois mois. Vous noterez au passage que Hong Kong n'utilise
pas le reminbi ( la monnaie officielle chinoise que l'on restreint -à
tort- à sa division la plus utilisée, le yuan ), mais le dollar
de Hong Kong, dont le cours est à peine supérieur à celui
du yuan.
A mon arrivée à la gare ferroviaire de Hunghom dans le quartier
de Kowloon, il pleut. Un accueil on ne peut plus british en somme... Dans les
rues étroites baptisées par les sujets de Sa majesté (Austin
Road, Sailsbury Road...), la conduite à gauche est de rigueur. Au volant
de nombre de belles anglaises très rares à Beijing, on sent encore
tout l'esprit britannique. Masquant l'horizon, une concentration impressionnante
de buildings, tous plus hauts les uns que les autres, rappellent combien le
mètre carré est cher ici. Abordant maintenant Nathan Road, LA
rue commerçante principale, je reste fasciné par le nombre des
pancartes publicitaires qui donnent le ton. Illuminée de toute part,
la rue n'est qu'un immense centre commercial. Tous les deux pas, des rabatteurs
Pakistanais, Indiens et Bangladeshis pour un grand nombre d'entre eux, m'interpellent
et me proposent de me faire tailler un costume pour quelques dollars, à
moins que les copies de montre ne me tentent d'avantage... Le ton est donné.
Sans plus tarder, je rejoins Catherine et Kamel qui ont gentiment prolongé
leur séjour ici pour m'attendre. Au 13ème étage d'un building
assez miteux regroupant quelques dizaines de pensions, ils ont trouvé
refuge dans une chambre-boîte de 2,5m x 3,5m, salle de bain comprise (oui
oui, ça passe!!), sans fenêtre bien sûr, pour 130 $HK la
nuit ( 16,5 €). Je n'en reviens pas! Mais il faut vite me rendre à
l'évidence : je ne suis plus à Pékin!! Pour moi, c'est
60$ le lit en dortoir! Je regrette déjà Fenlong...
- Alors comme ça, t'as vu
des affaires à faire?...
- Oulala, ma parole, c'est pas croyable les prix ici!! On va voir ça
demain, OK? Si on allait manger un morceau?...
- Et puis après on ira sur faire un tour sur la baie, c'est à
deux pas d'ici, poursuit Catherine.
Le
temps d'un dîner sur le pouce (j'ai encore quelques réserves du
14 juillet!), et nous arrivons sur l'extrémité de la péninsule
de Kowloon, donnant directement sur Victoria Harbour. En face, l'île de
Hong Kong et un des villes les plus spectaculaires au monde. La concentration
de tours ultra modernes, mises en valeur par des éclairages dignes d'un
concert de rock, est à couper le souffle. Il ne manque plus que les fumigènes...
Au premier plan, la baie où s'affaire encore un nombre important de bateaux
malgré l'heure tardive, met en relief le tout. C'est la première
fois que je regarde avec autant d'admiration un paysage urbain. C'est tout simplement
superbe.
Dès le lendemain, c'est en compagnie de Kamel que nous arpentons les
boutiques où il lui a été indiqué des prix défiant
toute concurrence. Mais très rapidement, il y a quelque chose qui me
dit que quelque chose de bizarre se cache là-dessous. Non affichés,
les prix annoncés varient, selon l'heure, le vendeur et le magasin de
4200, à 5000, puis 7000 $HK... Il y a vraiment quelque chose de pas très
net là dessous. Si le matériel présenté est intéressant,
les vendeurs ne m'inspirent aucune confiance. Ça sent le coup fourré.
Pour lever le gibier, je me présente alors dans un magasin le plus intéressant,
présentant sa propre carte de visite au vendeur qui a écrit de
sa main le prix du matériel que je prétends vouloir lui acheter.
Machinalement, je rajoute :
- C'est du matériel neuf, bien sûr?...
D'un regard méprisant, tel un voleur pris la main dans le sac, il ne
peut pousser plus loin sa supercherie :
- Vous ne croyez quand même pas trouver un boîtier photo neuf à
ce prix! s'exclame-t-il, alors que tous les modèles en vitrine sont neufs
et que jamais il n'est ici fait mention qu'il s'agit d'un magasin d'occasion!
Ne cherchant même pas à discuter tellement je le méprise,
je tourne alors les talons et commence à mieux comprendre.
Dans le second magasin, où un vendeur du même acabit nous fait
asseoir pour nous mettre en confiance, répond par la négative
à la question précédente, presque offusqué du manque
de confiance évident dont je fais preuve. Se tenant au prix global discuté,
il ajoute :
- Vous payez par carte ou
en liquide?
- Par carte bancaire.
- Alors tapez votre code si vous voulez bien, monsieur.
- ... Excusez-moi, mais ... j'aimerais quand même voir le matériel
avant de le régler, si cela n'est pas trop vous demander, indiquai-je
assez froidement. Étonné, il tente à nouveau l'opération
et ajoute :
- Mais nous n'avons pas le matériel ici. Il est dans un autre magasin
et sera là dans 10 minutes.
- Eh bien je vais attendre! rétorquai-je en croisant les bras pour marquer
ma détermination.
- Mais si vous ne payez pas maintenant, je ne peux pas faire venir le matériel!
essaye-t-il encore.
- Mettez-vous bien ceci dans la tête: je ne payerai pas quelque chose
que je n'ai pas sous les yeux. Je veux voir ce que j'achète AVANT, vous
saisissez??
Très agacé, il perd peu à peu son calme et sa belle assurance
(de bandit) :
- Et si vous n'aimez pas le matériel, vous ne l'acheterez pas, c'est
çà.
- Parfaitement! rétorquai-je le plus calmement du monde à une
question dont la réponse coule de source pour moi.
- C'est trop facile ça, s'emporte-t-il, je fais venir du matériel
et ...
Ne lui laissant même pas le temps de terminer, je me lève et commence
à sortir de la boutique où 4 à 5 vendeurs s'affairent avec
d'autres
pigeons potentiels.
- Et tu vends beaucoup aux touristes de cette manière? lançai-je
écuré à ce voleur d'au moins dix ans mon cadet.
Je n'attendrai même pas la réponse, nous sommes déjà
dans la rue.
- Les enfoirés! s'exclame Kamel qui l'a aussi mauvaise que moi.
- Et ils doivent en avoir plus d'un! Encore heureux qu'on ait eu le nez fin!
La suite de notre 'enquête' finira de nous informer sur ce trafic organisé
ayant pignon sur rue dans des magasins on ne peut plus 'normaux'. Après
avoir alléché des touristes par des prix étonnamment bas,
outre la possibilité de vendre pour du neuf du matériel d'occasion
(venus d'où? Mystère), le stratagème est le suivant. Le
touriste règle le montant de son achat et commence à attendre
la livraison imminente du colis. Dix minutes se déroulent, un quart d'heure,
et le vendeur étonné reçoit un coup de fil devant le client.
Presque les larmes aux yeux, il s'excuse alors d'être au regret (c'est
dire!) de lui annoncer que, MALHEUREUSEMENT, il ne reste, dans toute la ville,
plus un exemplaire du modèle acheté. Mais en revanche, il peut
lui proposer ce modèle, ou celui-ci ... dont le prix marché est
curieusement beaucoup plus proche de la somme réglée... L'affaire
devient alors beaucoup moins intéressante pour l'acheteur... Ce dernier
aura beau pleurer et s'exclamer en demandant un remboursement, le vendeur désolé,
maintenant soutenu par des collègues venus à la rescousse, lui
dira que ça n'est pas possible... Il reste bien la possibilité
d'appeler la police, mais dans un pays aussi corrompu, où ces méthodes
sont semble-t-il monnaie courante, il est difficile de croire qu'elles perdurent
sans soutien bienveillant... Un touriste pourra difficilement avoir gain de
cause...
Quand ce vendeur honnête et fort sympathique nous décrit ce scénario,
je réalise ce à quoi j'ai échappé! En nous sommant
de nous méfier
ici, il nous donne l'adresse des 'deux seuls magasins photo honnêtes du
quartier. Ça fait plus de 20 ans qu'ils existent eux!' ajoute-t-il comme
pour nous indiquer que les propriétaires des autres tournent toutes les
quatre semaines.
Quand nous rendons visite à ces vrais professionnels, nous entrons en
effet dans un autre univers. D'un côté, des centaines de boîtiers
et objectifs étiquetés '2nd hand' (2ème main), de l'autre
le neuf. Tout est clair, un vrai magasin en somme! Quant aux prix, ils méritaient
à peine un aller retour Beijing-Hong Kong... Et bien qu'ils soient environ
de 10% inférieurs à ceux pratiqués à Pékin,
je décide de ne rien acheter aujourd'hui. Peut être à tort,
mais j'ai un mauvais pressentiment. Signe que cette décision d'achat
doit être repensée, à tête reposée, c'est à
dire repoussée à plus tard... Dommage pour les 1000 yuans ( 125
€) dépensés dans ce voyage inutile.
- Sauf que tu as maintenant un nouveau visa chinois de 3 mois, positive Kamel.
- Et puis la baie d 'Hong Kong, c'est vrai que ça vaut le détour!...
Le lendemain même, nous
prenons un train local pour Shengzhen, à la frontière de la mère-patrie,
en compagnie de Vicente, un texan d'origine mexicaine, rencontré à
l'hôtel. Après 15 heures d'attente dans cette ville dont le centre
n'est qu'une succession sans fin de magasins vendant tous la même chose,
nous grimpons dans un train direction la capitale. Malheureusement bondé,
nous n'aurons pas le loisir de faire de ce wagon 'assis dur', un semblant de
wagon-couchette!
Trente heures de train et une heure de bus plus tard, nous débarquons
au Fenlong Hôtel où Caroline nous attend, toute souriante en cette
journée qui s'annonce déjà très chaude :
- Alors, c'était comment Hong Kong??
- ... Ben... on va te raconter! commençai-je en m'asseyant à la
terrasse de ce 'chez nous' collectif.
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