Vers
le X ème siècle, comme surgissant du sol, vont commencer à
apparaître les premiers géants de pierre qui ont permis au monde
entier de connaître l'île de Pâques, les moaïs.
Fascinantes sculptures de tuf volcanique pouvant mesurer jusqu'à 10 mètres
de hauteur et peser plus de 80 tonnes (!), ces statues colossales stylisées
sont toutes réalisées sur le même modèle. Seules
quelques variations minimes les différencient, donnant à chacun
des visages une expression particulière.
Si les visages anguleux aux oreilles largement dessinées sont une caractéristique
bien connue du style 'maoï', la présence de longs doigts effilés
qui viennent se toucher sous le nombril en sont une autre beaucoup moins connue.
Même si elles ne portent plus leurs yeux de corail blanc que le temps
a réduit en poussière, il semble maintenant établi que
toutes les statues étaient dotées de ce regard étrange.
Cette dernière touche marquait la phase ultime de la personnification,
signe visible du rôle protecteur des moaïs sur le village. Lors de
notre passage, une seule statue était parée de ces yeux sertis
qui sont la copie du seul 'oeil' retrouvé au pied d'une d'elle, il y
a seulement quelques années.
Coiffées pour certaines d'entre elles d'un chapeau de forme variable constitué de tuf rouge, elles n'en sont qu'encore plus impressionnantes. Le pukau - c'est le nom de cette coiffe - symboliserait la coiffure des ancêtres qui portaient ainsi leurs cheveux en chignon. Ces 'accessoires' de plusieurs centaines de kilos proviennent de l'unique carrière de tuf rouge de l'île, Puna Pau. Simplement posées sur les sommets des crânes, ces couvre-chefs sont pour la plupart maintenant brisés au pied des statues.
Les expressions de visage
notamment et les sculptures particulières que le maître-sculpteur
ajoute à son gré fait que chaque pièce est unique. La plus
vénérée d'entre elles, Boa Hacha Ana IA - littéralement
'celle qui brise les vagues, plus connue sous le nom de 'La briseuse de Vagues'
- étaient un petit modèle de seulement 2,60 m, le seul qui soit
entièrement sculpté dans le dos. Vénéré par
les pascuans, ce petit modèle de quelques êtres de hauteur se tenait
à l'intérieur même d'une maison du village sacré
d'Orongo. Volé par un bâtiment de guerre de la marine américaine,
elle est actuellement visible au British Museum à Londres...
Tournés dos à la mer pour l'immense majorité d'entre eux , "les moaïs représenteraient les ancêtres, des chefs ou d'autres personnalités de haut rang, considérés comme des personnages importants de l'histoire pascuane". En langue Rapa Nui, le terme 'moaï' signifie d'ailleurs "lieu de sépulture ou de sommeil". Érigés face au village qu'ils protègent, ils symbolisent l'histoire du clan et sont à cet égard 'objet d'une véritable vénération.
Les
XIV et XV ème siècles seront les époques phares en ce qui
concerne la réalisation des moaïs. Fabriqués à la
chaîne par des centaines de sculpteurs dans la carrière de Rano
Raraku, les moaïs vont pousser comme des champignons tout autour de l'île.
Actuellement, si on comptabilise les quelques 300 sculptures achevées
ou en cours d'achèvement de la carrière, l'île totalise
près de 1000 moaïs! On ne réalise que difficilement l'énergie
considérable qui a conduit ce peuple à mettre en place un tel
programme, compte tenu des moyens techniques limités dont ils disposaient!...
A cet égard, le transport de ces géants qui pouvaient peser jusqu'à
80 tonnes pour le plus grand, demeure encore une énigme sur laquelle
tout le monde n'est pas d'accord. S'il faut écarter les hypothèses
les plus fantaisistes parmi lesquelles le déplacement par sustentation
magnétique ou l'aide d'extra terrestres (eh oui, je n'invente rien!!),
le transport par glissement sur rondins de bois et le déplacement debout
à l'aide de cordes , comme un réfrigérateur, restent les
plus plausibles.
La
civilisation des moaïs est également une période très
faste pour l'île qui voit sa population peu à peu grossir ... jusqu'à
l'intenable... Selon les chiffres les plus crédibles, on rapporte que
l'île aurait compté jusqu'à 12, voire 15 000 habitants,
sur un territoire de 162 km2 seulement!!
Aussi, ce qui parait inévitable, des conflits vont rapidement surgir,
se transformant bientôt en des guerres de clans. Pour survivre sur un
espace aussi réduit, des massacres vont être perpétrés,
donnant ainsi de l'espace aux vainqueurs, ainsi que de la chair fraîche
pour se nourrir... puisqu'il est en effet maintenant établi que le cannibalisme
était largement pratiqué pour contrer la famine... Quand les guerres
claniques se déclareront, l'anéantissement du clan ennemi sera
matérialisé par la profanation des moaïs qui seront cassés
et abattus, face contre terre. De nos jours encore, malgré les programmes
de restauration qui visent à mettre en valeur ce patrimoine, seule une
infime minorité de statues ont retrouvé leur place initiale. Ainsi,
en parcourant l'île trouve-t-on des dizaines et des dizaines de géants
brisés au pied des ahus.