En quittant le centre spatial de Kourou,
200 kms nous séparent encore de Saint Laurent du Maroni, notre prochaine étape.
L'arrière d'un pick-up d'un Hmong et la BMW d'un ancien joueur professionnel
guyanais de Pau, devenu musicien, nous conduisent en moins de 3 heures à destination.
Très roulante, la N1 nous fait traverser des paysages sauvages de jungle sous
un soleil de plomb, à peine voilé par une petite averse.
Ville frontière avec le Surinam que seul le Maroni sépare, Saint laurent est
également l'ancienne capitale du bagne. Depuis 10 ans, sa démographie a littéralement
explosé, passant de 3000 à 30000 habitants. Amérindiens, Hmongs (émigrés du
Laos), Noirs marrons (qui sont les descendants des esclaves fugitifs, venus
s'installer sur les berges du Maroni), Surinamiens fuyant la guerre civile,
créoles et métropolitains constituent l'essentiel de cette communauté très
cosmopolite.
Quand on débarque à Saint Laurent, on est en fait dans un gros village, coupé
en son cœur par une grosse artère. D'apparence très sommaire, mal entretenue,
Saint Laurent tranche totalement avec Kourou et Cayenne, les deux autres 'vraies'
villes du département. Ici, l'atmosphère est étrange, rien ne semble très
net... Ville frontière incontrôlable, elle est le lieu de tous les trafics,
malgré la présence d'un important contingent de policiers, de gendarmes, de
militaires et de légionnaires, ou encore la douane. Des centaines de pirogues
font un va et vient avec le Surinam voisin où tout se négocie au moindre prix.
Or, drogue, alcool, cigarettes, viande, etc... circulent ainsi jusqu'ici sans
vraiment d'obstacle. Ici, tout s'achète et se revend, sans contrôle, presque
légalement puisque au vu et au su de tout le monde.
En dehors de l'alimentation, le plus risible est certainement le trafic d'essence
vendue en bidon de 20 litres sur le bord du chemin en terre qui borde le Maroni.
Le quartier chinois (en mémoire des anciens habitants du quartier) et celui
des Charbonnières vous font entrer dans un autre univers. Noirs marrons et
Surinamais règnent ici en maîtres, gérant un business que les autorités semblent
admettre. Oh bien sur, il y a bien une petite descente de temps en temps,
mais c'est plus pour la forme qu'autre chose.
Sans papiers, les refouler de l'autre coté du Maroni ne change rien: la prochaine
pirogue les ramènera inexorablement vers ce coin de paradis qui leur donne
des chances de survie. Misère quand tu nous tiens...
Il faut dire qu'ici, la France est synonyme d'espoir, de vie meilleure. Les
lois sociales sont pour ces personnes démunies un Eldorado. Aussi, donner
naissance sur le territoire français, c'est acquérir la nationalité française
pour son enfant, obtenir les allocations pour sa progéniture et l'espoir pour
lui d'une vie meilleure . Enceintes jusqu'aux yeux, en 1/4 d'heure de pirogue,
les femmes viennent ainsi accoucher ici. Personne ne peut vraiment leur en
vouloir...
Saint Laurent, c'est également des hordes de personnes vivotant du
RMI et de 'business'. Originaires d'ici ou métropolitains en rupture, le système
dont ils profitent est devenu une porte de secours facile. Il y a les métros
réglos, venus souvent ici pour faire un peu de fric et découvrir un univers
très particulier. Et tout ce petit monde se côtoie, se rencontre sans jamais
vraiment se mélanger. Chacun possède son quartier, son espace, son bistrot,
seuls peut-être le fleuve et le marché réussissent à les regrouper parfois
sur un même espace...
Ainsi, nous apparaît Saint Laurent, ville du bout du monde aux milles visages,
semblant endormie et pourtant débordante d'énergie, petite et grande, simple
et ô combien complexe! ...