Premiers orpailleurs

Depuis la pirogueMercredi 21 Mars 2001

Six heures de pirogue nous séparent encore de Papaïchton, capitale du pays Boni. Si la première partie du voyage depuis Saint Laurent nous avait laissé sur notre faim, le Maroni et ses nombreux méandres nous enchantent littéralement. C'est à travers un véritable labyrinthe que le piroguier trace sa voie, lisant le fleuve comme une carte. Les courants, sauts et autres pièges n'ont pour lui que peu de secrets. En véritable virtuose, il conduit la pirogue de 13 mètres à travers toutes ces difficultés, que nous découvrons parfois d'un oeil inquiet. Au fil des heures, nous remontons ce fleuve par des bras ne mesurant parfois qu'une vingtaine de mètres de large. Sur la partie principale, nous découvrons les premières barges d'orpailleurs, regroupées dans la partie surinamaise du fleuve. Matériel d'orpaillage
Véritables arches de Noé faites de bric et de broc, rongées par la rouille elles ont tout de l'épave abandonnée qui attend la fin. Pourtant, une activité incessante éclairée par quelques malheureuses ampoules alimentées elles-mêmes par un assourdissant moteur, vient contredire cette apparence trompeuse. Depuis le fond, un énorme tuyau appelé 'suceuse' aspire la boue du lit du fleuve, avant d'être traitée. A bord, quelques hommes travaillent sans relâche: ils sont chercheurs d'or.
Barge en activité
côté surinamais...Si la magie agit dès l'évocation de ce métier, la réalité l'est beaucoup moins. Armés, pour se défendre de la folie que ce monde entoure, les orpailleurs sont des forçats d'un autre temps. Brésiliens pour la plupart, les garimpeiros travaillent au pourcentage. Nourris 'logés' (!...), ils se partagent environ 35% du magot qu'ils arracheront au lit du fleuve. Le reste, c'est pour le boss. Avec ça, il doit acheter le matériel, le carburant, la nourriture, faire tourner son entreprise quoi!
Sur le Maroni, le roi s'appelle Jean Bénard, un bony d'une trentaine d'année à la tête d'un véritable trésor de guerre. Ne se déplaçant jamais sans ses gardes du corps, rien ne peut se faire sans son accord tacite. Ses méthodes n'ont rien à envier à la mafia, aussi vaut-il mieux ne pas trop le contrarier! Et sur le Maroni, entre Brésiliens et Bony, c'est la guerre permanente, donnant régulièrement lieu à de sanglants règlements de compte. Un far ouest où la loi du plus fort prévaut. Ici, il vaut mieux savoir où on met les pieds si on tient à la vie...

Autre barge, avec habitation
sur la partie supérieureUn garimpeiros gagne environ 8000 frs/mois, ce qui représente pour ces hommes des salaires de roi. Fuyant la misère, ils vont jusqu'à mettre leur vie en danger dans l'espoir de faire fortune. Plongeant 8 heures par jour pour guider le nez de la suceuse, les équipes de plongeurs-scaphandriers se relaient 24h/24, respirant l'air plus ou moins douteux d'un compresseur installé en surface. Quand le coin n'est plus bon ou épuisé, la barge se déplace, et on continue. Dans cette partie du Maroni, la densité d'orpailleurs est très faible. Ainsi, la pollution aux hydrocarbures et au mercure n'est pas comparable à celle des véritables fiefs des chercheurs d'or, en amont de Maripasoula et sur l'Oyapock (fleuve frontière avec le Brésil).
L'intoxication des populations autochtones qui se nourrissent du poisson a peu d'importance à coté de la manne que représente cette ruée vers l'or. La soif de l'or vaut bien quelques sacrifices, non?