Après
6 heures de navigation sur un fleuve bien calme, nous atteignons Grand Santi,
un gros village de Noirs marrons de la tribu des Djukas. Contrairement à ce
que nous pensions, le Maroni est, dans son immense majorité, la 'patrie' des
Noirs marrons et non des Indiens. En aval de Maripasoula, on ne trouve en
effet presque uniquement que des Noirs marrons, divisés en quatre ethnies
principales qui ne se mélangent guère: les Saramacca, les Paramacas, les Djukas
et les Bonis.
Originaires d'Afrique de l'Ouest, ils en ont gardé toutes les coutumes et
traditions. Si nous sommes officiellement en territoire français, c'est en
fait un morceau d'Afrique que la traite des noirs a déplacé ici. La France
a bien essayé d'assimiler cette population en leur imposant un mode de vie
qui leur est visiblement étranger. Depuis que la Guyane est devenue département
d'outre-mer, les résultats semblent bien maigres.
L'école tente bien de formater les esprits et de faire bouger cette population
vers un modèle à la française mais là encore, le système paraît totalement
inadapté. Si un nombre non négligeable d'enfants n'est pas scolarisé ('près
de 50% sur le fleuve' nous rapporte-t-on), le niveau scolaire des autres est
catastrophique. Peu d'entre eux sortiront du système en sachant lire... quant
au reste...
Rappelons toutefois au passage que le français est pour eux une langue totalement
étrangère. Sortis de la salle de classe, l'aloukou ou le taki-taki, leur langue
maternelle, les fait ré atterrir dans leur véritable monde. Les mutations
des enseignants en disent d'ailleurs très long sur le constat d'échec et l'utilité
de leur mission.
- Ce qu'on fait ici est totalement inadapté à la population, nous avoue l'un
d'entre eux. Il faudrait tout revoir!
-
Ici, il ne faut surtout pas avoir les mêmes objectifs qu'en métropole, déclare
un autre. Sinon, on craque très rapidement.
Et c'est le cas d'un certain nombre d'entre eux.
Soulignons enfin qu'en dehors de la classe, il y a la vie, et vivre ici n'est
pas toujours facile. On est au bout du monde, parmi une population dont on
ne parle pas la langue, sans téléphone la plupart du temps et à plus d'une
journée de pirogue de la grande ville la plus proche. Bref, à part le travail,
il n'y a pas grand chose à faire. Et rares sont ceux qui s'y éclatent. A Papaïchton,
21 des 24 enseignants quittent l'école cette année...