Nous prenons donc possession de la maison particulière que nous venons
de louer à 4 dans une ruelle pavée de Trinidad. Miraïda, la jolie propriétaire
métis des lieux, a 30 ans. Divorcée, elle a une fille adorable de 12 ans et
vit chez sa mère qui habite le logement contigu. Très dynamique et enjouée,
elle représente parfaitement la réalité cubaine pour qui la rigidité des lois
et les interdictions ne sont que théoriques...
- Ici, à Cuba, tout est possible!
S'exclame-t-elle avec un sourire extraordinaire. Je fais également restaurant,
poursuit-elle. Vous voulez manger quoi?.. Du poulet, du porc, du boeuf, des
crevettes ou peut-être de la langouste?ajoute-t-elle, alléchante...
Si la viande se trouve relativement facilement et se vend de manière légale,
il est 'normalement' impossible de trouver des fruits de mer en dehors des restaurants
d'état. Interdiction est en effet faite aux pêcheurs de les sortir de l'eau,
s'ils ne sont pas pêcheurs d'état. Théoriquement, le circuit est fermé et aucune
langouste ne peut être servie à Cuba en dehors du circuit officiel...
Ca, c'est la théorie!! En réalité, on peut se procurer à peu près ce qu'on veut
au marché noir! Et Miraïda connaît parfaitement trucs et combines pour satisfaire
ses hôtes... Alors que nous sommes à l'avant-veille de Noël, nous n'avons pas
besoin de nous consulter longtemps avant de passer la commande:
- OK pour la langouste!!
Dans un clin œil, elle ajoute:
- Pour la langouste, il y a un petit supplément... Ce sera 7 $US par personne,
ça va?
Au diable l'avarice, aujourd'hui c'est jour de fête! Et puis une langouste à
50 frs, c'est le prix d'une pizza '4 saisons' chez nous, alors!
- Ca marche, répondons-nous en chœur.
Après plusieurs parties de cartes, Miraïda nous revient avec le dîner caché
au fond d'un panier. Fermant alors toutes les ouvertures, elle chuchote:
- Si quelqu'un frappe à la porte, n'ouvrez sous aucun prétexte!
Et d'un sourire éclatant dont elle a le secret, elle ajoute en nous quittant:
- Et bon appétit!
Des 4 dîners que nous prendrons chez elle, le cérémonial sera toujours le même.
Le système D est ici un sport national que les autorités n'ignorent pas. En
dehors de La Havane, beaucoup plus répressive, la Police ferme légèrement les
yeux... Ce n'est pas pour cela qu'il ne faut pas rester très discret: du jour
au lendemain, un durcissement de la situation est toujours possible... Dans
un pays si surveillé où tout se sait, il est en effet impossible que les autorités
ne soient pas au courant de la situation. Sans en avoir la preuve évidente,
nous soupçonnons la police d'être intéressée à ce trafic... Et on la dit non
corrompue! Mon œil!! Preuve encore que le trafic peut-être le plus développé
du pays, je veux parler du trafic de cigares.
A
trinidad -comme ce sera le cas dans toutes les villes que nous traverserons-,
nous sommes abordés plus ou moins discrètement:
- Vous cherchez des cigares?
- Cohiba? Romeo y Julieta? Monte
Cristo?
Les rabatteurs opèrent toujours de la même manière. Curieux de voir de près
ce qui nous est proposé, nous acceptons du regard et nous retrouvons bientôt
dans une maison d'habitation de Trinidad. Fermant la porte rapidement derrière
nous, l'homme, âgé d'une trentaine d'années, nous conduit alors dans une seconde
pièce, afin d'éviter les éventuels regards indiscrets qui traverseraient les
rideaux opaques de la seule fenêtre...
Une femme âgée (sa mère) est déjà partie dans la chambre et commence à sortir
des boîtes de dessous le lit! On se croit dans un film! Comme la boîte qu'ils
veulent nous proposer s'avère introuvable, aidée d'un manche à balai, c'est
maintenant à quatre pattes qu'elle nettoie le dessous de l'armoire... pour déloger
encore quelques dizaines de boîtes!!! Toutes les grandes marques sont là! Au
prix officiel, il y en a là pour une petite fortune. Au marché noir, les prix
sont divisés par 2, 3 ou 4 selon la négociation. Mais d'où sortent-ils cela?
Nous ne le saurons point!
Malgré la parfaite similitude des emballages, cachets et bagues scellant les
boîtes, l'authenticité des cigares est loin d'être prouvée, comme toujours en
pareil cas... Il semblerait même qu'un faible pourcentage de ces cigares de
contrebande soient authentiques... et nous en faisons l'expérience. Après négociations,
nous achetons une boîte de 5 Monte-Cristo, 2,5$US (18,50 frs), ce qui ne nous
engage pas à grand-chose...
Bien que non-connaisseurs absolus -nous fumons nos premiers cigares à Cuba!-,
les premières bouffées nous indiquent très rapidement que nous ne sommes pas
en présence d'un produit de qualité, comme il se devrait...
La comparaison - avec un cigare de qualité authentifiée- que nous opérerons
par la suite permettra de nous ôter tous nos doutes: nous avons bien acheté
des cigares de basse qualité 'déguisés' en Monte-Cristo!... Il n'y a pas de
petits profits pour les trafiquants! Oh, bien sûr, tous les cigares vendus sous
le manteau ne sont pas des faux. En effet, il existe également un trafic important
de vol de cigares par les ouvriers des manufactures de tabac. Le marché parallèle
se charge alors de les écouler. Seul problème alors possible, le passage à la
douane. Sans facture d'achat, votre boîte de cigares aura alors beaucoup de
chance de rester à Cuba. Et le contrôle est pointilleux si on en juge les chiffres.
Ainsi, en 1998, 530000 cigares ont été saisis par la douane.
Tout trafic a toujours son revers... Au moins, avec la langouste, lorsqu'elle
est mangée, vous n'en entendez plus parler! !