Mardi
27 mars
C'est par hasard que nous rencontrons Jimmy, ce matin, au dégrad ('port fluvial')
de Maripasoula. Grand black édenté de 30 ans à peine, nous avons de la peine
à le comprendre tant son élocution est difficile. Peu engageant, le regard fuyant,
il n'a rien du GO d'un raid aventure sur le Maroni. Et pourtant! ...
C'est Hans, un ethnologue autrichien rencontré la veille au soir chez Dédée,
qui nous met en contact avec lui. Hans revient de 5 jours en autonomie sur le
Maroni en compagnie de Jimmy. Après hésitations, nous acceptons sa proposition
et embarquons sur sa pirogue en compagnie de Raymond, un Guyanien (du Guyana)
sans papier. Sa pirogue, dans laquelle est couché un vieux réfrigérateur, mesure
environ 8 mètres de long.
- Je pense conserver mon poisson 5 jours avec la glace qu'il y a dedans, nous
assure Jimmy.
- Et tu en ramènes beaucoup?
- Ça dépend... répond Jimmy que nos questions paraissent ennuyer... Ça
dépend, poursuit-il, des fois jusqu'à 100 kg...
Ancien rasta, nous avons un peu de
mal à cerner le personnage. Sa diction catastrophique limite la conversation,
par crainte de lui faire répéter 10 fois la même chose. Ça risque de
lui 'prendre la tête' rapidement, alors on évite ...
Après une heure de pirogue, nous
nous arrêtons dans un village amérindien, où vit Patrick, un morbihannais exilé
ici depuis une dizaine d'années. Un peu paumé, désocialisé, Patrick vit à l'amérindienne
sans aucun confort. Ses bouquins, l'alcool et l'herbe sont pour lui un refuge
qui l'extraient de la triste réalité.
- Les Indiens sont violents avec l'alcool, nous indique-t-il désabusé, alors
qu'il trinque au rhum avec un vieil amérindien et Jimmy...
- Avec le rhum, je vois mieux les sauts, se justifie Jimmy qui en est à son
second verre... ( les sauts sont les passages délicats liés aux brusques dénivelés
du fleuve.)
Nous nous regardons, un peu inquiets, suspectant de nous être embarqués dans
une aventure un peu périlleuse... mais maintenant que nous sommes dans le bateau..
En partant nous empruntons quelques livres à Patrick, histoire d'occuper un
peu nos journées prochaines.
La remontée de l'Inini se révèle plus sauvage que celle du Maroni. Plus étroit,
nous sommes d'avantage en contact avec la forêt dense, seulement trouée par
cette rivière aux eaux jaunâtres. Après un dernier arrêt-rhum dans un centre
touristique d'écotourisme, occupé seulement par David -le gardien- depuis le
dépôt de bilan d' Air Guyane, nous quittons définitivement la civilisation pour
la nature sauvage de l'Amazonie profonde. Jimmy a maintenant quelques grammes
dans chaque poche, Caroline n'est pas vraiment rassurée...
Dans
cette région vers laquelle nous nous dirigeons, seuls les orpailleurs s'aventurent,
la turbidité de l'eau ne laisse aucun doute à ce sujet. Clandestins venus du
Brésil pour l'immense majorité, ils seront nos plus proches voisins,
à quelques heures de pirogue toutefois.
Ainsi sommes-nous totalement isolés, en compagnie de Jimmy qui nous révèle
que ses 18 derniers mois en métropole se sont déroulés derrière les barreaux,
et Raymond, un Guyanien clandestin. Si nos mères nous savaient là! ...
Heureusement, les quelques heures de navigation ont un peu dégrisé Jimmy dont
le comportement redevient plus cohérent. Remarquez, nous avons traversé tous
les sauts sans encombres!...
Vers 16 heures, Jimmy stoppe le moteur
sur le bord de la rivière Eau Claire, à une heure environ en aval du dégrad
Maraudeur. A quelques mètres de la berge, un carbet rudimentaire nous attend.
Fait de quelques branches assurant une structure sommaire sur laquelle nous
accrocherons nos hamacs, il a tout de la résidence principale des Robinson que
nous sommes. Quelques minutes plus tard, la pirogue déchargée, nous nous installons
dans notre nouvelle villégiature.