Introduction
La Nouvelle Calédonie est un pays de légendes par excellence.
Elle est riche en symboles et sous-entendus de toutes sortes. On sait par exemple
que la présence de telle plante devant une maison signifie qu'il y a
un mort. De même, les chambranles, ces espèces de totem que l'on
retrouve devant certaines cases sont censés protégés toute
la maisonnée.
Différentes
d'une région à l'autre de l'île, les légendes sont
très nombreuses dans la culture kanak, véhiculée presque
exclusivement par la culture orale. Malheureusement, cette richesse s'étiole
au fil des ans...
Aussi n'a-t-il pas été aisé de trouver quelqu'un capable
de nous raconter une histoire et surtout d'en faire à
des métropolitains, par crainte peut-être de laisser des secrets
leur échapper... Que sais-je?
La rencontre de Anne-Marie d'Anglebermes va nous permettre de résoudre
notre 'problème'. Artiste à Nouméa, elle travaille depuis
plusieurs années sur les racines de la culture kanak. Ainsi est-elle
parvenue à percer nombres de secrets de cette culture jalousement gardée,
qu'elle met en image dans des tableaux réalisés exclusivement
à partir de matériaux naturels ( le sable, l'écorce de
niaouli -qui est un arbre qui ressemble à l'eucalyptus- et le bambou
notamment ).
Demandant des mois de recherches, ses oeuvres -que nous avons trouvées
magnifiques- racontent de véritables histoires où chaque scène,
signe ou symbole a une signification précise dans le symbolisme kanak.
Passionnée par son travail, elle nous a très gentiment reçus
et raconté la légende de Bugni et Ku, légende kanak qui
met en scène une femme et deux arbres.
Bugni
et Ku
Il était une fois
une femme totalement démunie. Pauvre, sans famille ni enfant, elle vivait
seule à l'écart de la tribu, comme isolée du monde. Un
jour, à bout de force et de résistance, elle ne tint plus et supplia
le soleil, ce dieu fait astre, pour qu'il lui vint en aide.
- Regarde-moi, Soleil, je suis seule, pauvre et affamée. Même les
autres femmes sont plus heureuses que moi. Elles ont au moins des enfants
pour combler leur solitude. Ne peux-tu rien faire pour m'aider? Cela m'aiderait
à vivre et à supporter ma misère.
Le soleil ne répondit pas.
Mais le lendemain, en se levant, elle trouva deux arbustes devant sa porte.
Désemparée, mais sûre que le Dieu qu'elle avait imploré
l'avait exaucé, elle le questionna :
- Merci, mon Dieu, pour ce présent. Mais que dois-je en faire?
Le soleil lui dit:
- Donne-leur à manger et élève-les comme tes propres enfants.
Un jour, ils t'aideront à leur tour.
La brave femme fit ce que le soleil lui avait suggéré et nourrît
les deux arbres qu'elle considérait comme ses propres fils auxquels elles
donna les noms de Bugni et Ku. Au fil des mois, les deux arbustres grandissaient
mais restaient frêles, comme desséchés. Inquiète
comme une mère face à des enfants chétifs, elle interrogea
de nouveau son Dieu sur ce qu'elle devait faire. Il lui répondit simplement
:
- Donne-leur à boire et sois patiente.
Les arbustes eurent donc de l'eau et se mirent à devenir de grands et
beaux arbres dont la femme était fière.
Un jour où elle sentit le froid plus qu'un autre, elle alla voir ses
arbres et leur demanda:
-Mes fils, il fait froid dans ma case et je voudrais sentir la chaleur d'un
feu. Ne pourriez-vous me donner quelques branches mortes?
Les fils lui donnèrent volontiers et la femme put ainsi goûter
le bonheur simple d'un feu sous la marmite et d'une flamme pour se réchauffer.
Le temps passa, qui voyait la femme heureuse et les arbres grandir encore et
encore.
La femme vieillit et sentit bientôt ses os se glacer à la moindre
humidité et ce, malgré le feu allumé. Elle retourna voir
ses fils:
- Mes fils, je suis maintenant bien vieille et le feu d'autrefois ne me réchauffe
plus. Il m'en faudrait un plus grand.
Ne pourriez-vous me donner davantage de branches pour que je sois plus à
l'aise, moi qui vous ai nourri et élevé?
Bugni donna plus de branches sans rechigner. Ku, de son côté, refusa
catégoriquement et lui répondit sèchement :
- Qui es-tu, toi qui prétends être ma mère? Tu m'as nourri
et élevé, c'est vrai, mais tu ne me ressembles pas. Tu n'es rien
pour moi et je ne te donnerai rien de plus.
La mère, furieuse, s'emporta:
- Soit, fils ingrat! Garde tes branches! Bugni, poursuivit-elle, pour avoir
été bon avec moi, tu seras un arbre résistant et quand
les hommes t'abattront, ce sera avec peine car tu ne t'inclineras
que fort tard. Mais ils pourront compter sur toi pour bâtir leur case.
Quant à toi, Ku, tu seras un bel arbre. Mais quand les hommes voudront
te couper, tu tomberas aussitôt et tu pourriras très rapidement,
en commençant par le cur. Tu seras tout juste un bois pour le feu,
qui brûlera très vite, sans réchauffer personne!
C'est
ainsi qu'aujourd'hui encore, on peut voir le bugni (surtout sur l'Ile des Pins)
et le ku dans la forêt kanak. Selon les prédictions de la vieille
femme, le bugni est -encore de nos jours- utlisé comme pilier central
des cases car il est très résistant. En revanche, on laisse de
côté le ku, cet arbre qui n'offre aucun intérêt, sinon
celui d'allumer le feu.