Secrètement, malgré le fait d'avoir en poche
nos vols pour Sydney, nous rêvons de quitter la Nouvelle Calédonie
par la mer...
Depuis le départ de ce tour du monde d'ailleurs, nous avons en tête
d'essayer le bateau-stop. Mais voilà : malgré nos passeports bretons,
nous n'avons vraiment aucune expérience de la navigation, sinon quelques
heures de canoë-kayak sur le canal de Nantes à Brest! Le pied marin
certes ... mais sur terre surtout!...
De ce milieu des 'voileux' comme ils se nomment eux-mêmes, nous ne connaissons
rien. Sinon des 'on dit', et dieu sait combien il faut s'en méfier. Alors,
de bruits de couloir, il paraîtrait que le bateau-stop soit quelque chose
d'assez facile... Il semblerait que certains skippers désireux de ne
pas naviguer seuls, recruteraient sur les pontons des équipiers...
Une petite annonce épinglée
à l'auberge de Jeunesse de Nouméa a ainsi retenu notre attention.
" Recherche 1 ou 2 équipiers pour traversée vers l'Australie.
Contact : Jacques, skipper de MITAN, Ponton Visiteur n°19, Marina Port Moselle".
Avec les CV vierges de toute expérience que nous présentons, nous
ne nous donnons que très peu de chance, mais comme nous avons un peu
de temps devant nous, nous décidons d'aller nous présenter...
Qui ne risque rien...
Un peu tendus comme on peut
l'être en arrivant dans un endroit inconnu, nous toquons à la coque
dudit voilier.
- Bonjour, nous avons vu une annonce à l'auberge concernant ....
- Ah oui, montez! nous invite un homme d'une bonne cinquantaine d'années.
Laissez vos chaussures sur le ponton, SVP!
Notre apprentissage de marins commence par là!...
Jacques, un annécien de 58
ans nous reçoit cordialement dans le cockpit. D'entrée de jeu,
nous abattons notre jeu. Mais cela ne semble inquiéter nullement notre
interlocuteur. " Ça n'est pas un problème que vous soyez
débutants, je veux un équipage motivé!" affirme-t-il
avec un accent du sud ouest qui trahit ses origines gersoises. Sa carrure d'athlète
révèle un passé de sportif duquel il parle avec une pointe
de nostalgie. Même si sa carrière internationale de rugbyman fût
de courte durée, nous sentons combien ce sport a compté à
ses yeux. Ainsi, pendant près d'une heure, nous allons discuter à
bâtons rompus, histoire de découvrir un peu à qui chacun
a à faire.
Au fil de la conversation, nous apprenons que Jacques est venu jusqu'à
Nouméa acheter ce bateau voici huit mois. Accidentellement seul à
bord depuis le récent départ de sa compagne, il veut malgré
tout accomplir le programme qu'il s'était fixé. Sans nous l'avouer,
nous comprenons qu'il n'est pas homme à naviguer seul, par sécurité
mais également par tempérament. Il recherche avant tout de la
compagnie, mais également des cuisiniers si possible, de la main d'oeuvre
pour l'aider à réaliser toutes les choses qu'il ne peut pas faire
seul, et des yeux attentifs pour parer d'éventuels dangers quand il dort.
Bref, des équipiers sous son commandement quoi!
Marin expérimenté si on en croit sa carte de visite, MITAN est
son troisième bateau. Un voilier bien impressionnant pour les débutants
que nous sommes. Avec Jacques, déjà nous prenons notre premier
cours.
-
MITAN est un sloop (voilier avec un seul mât) dériveur (sans quille)
en aluminium de 12 mètres. Je vous fais visiter?
Et de retrouver dans ce petit appartement flottant qui nous parait, à
première vue, bien sympa.
Son programme, il nous le présente très simplement :
- Je veux rejoindre Darwin en Australie en faisant un crochet par le Vanuatu.
Après, je rentrerai quelques mois en France pour la fin de l'année,
et puis après, je devrais repartir pour l'Océan Indien. Si on
faisait équipe, ça signifie qu'on serait en Australie pour début
Octobre...
Nous sommes début Août, ceci signifie que deux mois de mer nous
attendraient. Nous ne savons pas ce que cela représente exactement, ni
même si nous sommes sujet au mal de mer...
- Nous allons réfléchir de notre côté, lui dit-on
simplement en le quittant. On repasse demain donner une réponse, ça
va?
- Pas de problème, je vous dirai demain si votre proposition me convient,
nous dit-il comme nous retournons 'à terre'...
Dès que nous nous retrouvons
seuls, la main dans la main, nous savons ce que l'autre pense. Dans l'ensemble,
Jacques nous a fait bonne impression. La proposition qu'il nous fait correspond,
mis à part au crochet par le Vanuatu, à ce que nous recherchons.
D'un point de vue financier enfin, nous ne risquons pas grand chose. La traversée
ne nous coûtera rien, sinon une normale participation à la caisse
de bord qui permet d'acheter la nourriture, tout le reste étant à
la charge du skipper.
- Alors?...
- La nuit porte conseil... répond Caroline avec un sourire qui traduit
déjà son état d'esprit.
Le lendemain, la décision
est prise et inchangée. Traînant toute la journée à
Nouméa, nous prenons la direction de Port Moselle en fin d'après
midi. Sur MITAN, Jacques qui semblait nous attendre nous accueille avec le sourire.
- Alors, vous avez décidé? nous interroge-t-il d'emblée...
- Oui, la proposition que tu nous as faite nous intéresse. Alors si de
ton côté...
- Pour moi c'est bon également! reprend-il. Vous m'avez fait bonne impression
hier, alors je veux bien que vous soyez mes équipiers! Je vous offre
un verre alors!...
Le sourire aux lèvres, nous avons le sentiment d'avoir gagné un
gros pari. Notre tour du monde va donc se poursuivre par un moyen de locomotion
tout à fait nouveau pour nous : le voilier. Alors on est comme des gamins,
impatients de partir, attendant le départ pour une aventure et un style de vie
différents. Cette occasion (presque)
inespérée est une chance inouie pour nous. Reste maintenant à
voir comment nous allons vivre cette vie totalement inconnue, en commençant
par le mal de mer...
En prenant cette décision, nous savons également que nous prenons
un autre risque. Nous ne sommes pas difficiles à vivre mais un bateau
est quelque chose de 'très spécial'. Vivre avec un inconnu dans
quelques mètres carrés desquels il est impossible de sortir quand
on veut, sera un autre challenge. Et tant pis! Nous sommes prêts à
le relever!
- Nous partirons en début
de semaine prochaine, j'attends ma grand-voile qui me sera livrée demain,
précise Jacques. Alors si vous voulez bien, je vous propose d'aménager
sur le bateau à partir de demain.
C'est ainsi que nous quittons l'auberge de jeunesse de Nouméa, et prenons
place à bord de Mitan 'notre' nouvelle maison.
Nous sommes le 3 août 2001.