Il est 9h30, ce 8 Décembre 2001,
comme nous quittons le campement sommaire de cet employeur pour qui nous n'avons
jamais travaillé.
Douchés et un copieux petit-déjeuner dans le ventre, nous enfilons
nos sacs à dos pour couvrir les deux kilomètres qui nous séparent
de la route principale. S'il a plu une bonne partie de la nuit sur cette partie
sud de Young, le soleil pointe maintenant le bout de son nez et annonce une
autre belle journée.
- Tu crois qu'on sera à Melbourne ce soir? s'interroge déjà
Caroline en consultant la carte.
- Il y a quoi?... 700 kms, tout au plus, non?
- Ouais, quelque chose comme ça...
- Alors avec un peu de chance, c'est dans nos cordes! Et puis si on arrive demain,
on arrivera demain!!
C'est
vrai que l'endroit est loin d'être idéal : plantés en pleine
ligne droite sur une route où les bas-côtés ne permettent
pas de s'arrêter, nous n'avons pas vraiment le choix. Trois ou quatre
kilomètres nous séparent d'un endroit plus propice au stop, et
encore, nous n'en sommes pas sûrs! Aussi mettons-nous nos sacs à
terre et tendons une pancarte qui sent encore le marqueur, sur laquelle nous
avons écrit: MELBOURNE.
Un quart d'heure plus tard, Paul, un jeune néo-zélandais, s'arrête
à 150m de nous avant d'entamer une marche arrière.
- Je ne vais qu'à Wagga Wagga qui est à une centaines de kilomètres
d'ici, ça vous intéresse?
Si nous sommes loin de connaître par coeur tous les noms des villes que
nous traversons, ce nom rigolo directement issu de la langue aborigène
a retenu notre attention.
- Ça marche, merci! répondons-nous en chargeant déjà
nos sacs à dos dans la malle arrière. En stop, c'est souvent la
première voiture qui donne le ton, la journée s'annonce donc sous
les meilleurs auspices.
Dans cette partie sud de l'état de Nouvelles Galles du Sud, nous traversons
une région agricole très vallonnée où les fermes
immenses se succèdent. De temps à autre, comme posées sur
le bord de la route, des boutiques d'un autre temps nous annoncent le passage
d'une 'ville', point de ralliement des habitants vivant à des dizaines
de kilomètres les uns des autres. Nous sommes dans un autre monde, dans
une autre Australie, loin de l'effervescence des ville et du monde 'civilisé'.
Ici le temps semble s'être arrêté. Villes minuscules perdues
au milieu de nulle part, elles sont souvent la trace de l'implantation de quelques
pionniers s'étant arrêtés ici un jour pour se construire
une nouvelle vie. Si les véhicules nous rappellent que nous sommes au
20 ème siècle, certains bâtiments plus que centenaires pourraient
nous laisser croire qu'au coin de la rue là-bas, juste après cette
épicerie-hôtel-restaurant-'saloon', une diligence va apparaître...
Assis dans la Holden de Paul, nous regardons le spectacle qui défile
comme sur un écran de cinéma, à près de 100 km/h...
En fin de matinée, nous atteignons Wagga Wagga, la plus grande ville
de l'état à l'intérieur des terres. Malgré ses 57000
habitants, elle nous fait penser à une petite ville rurale qui ne présente
pas beaucoup d'intérêt. Sur le bord de la rue principale, assis
sur un banc, nous profitons du soleil pour décharger un peu nos sacs
à dos de quelques centaines de grammes de nourriture. Sous les regards
des passants qui se demandent bien ce que des étrangers peuvent faire
ici, nous avalons quelques sandwichs au thon, réalisés à
partir de pain de mie sans grande saveur dont les anglo-saxons ont le secret.
Le
temps d'un relais d'une dizaine de kilomètres et nous trouvons l'occasion
de la journée en la personne de Colin qui rejoint Melbourne et sa famille
pour un week-end prolongé. Peu loquace en conduisant, Colin devient beaucoup
plus amical lors des arrêts réguliers qu'il s'impose pour rompre
la monotonie de la route. Quittant alors la Hume Highway quelques kilomètres
au nord d'Albury, il nous annonce:
- On va s'arrêter quelques minutes dans un pub un peu spécial,
vous allez voir... ajoute-t-il avec le sourire.
Nous sommes à Ettamogah, à la frontière de l'état
du Victoria dans cette région où la vigne commence à être
cultivée. Devant nous en effet, au bout d'une petite route ne menant
nulle part, se dresse un imposant pub au toit rouge pétant.
Pub-restaurant disposé sur deux étages, ce lieu loufoque directement
inspiré d'une BD australienne est en effet très étonnant.
Ici, rien n'est construit selon les normes habituelles et si pour vous les murs
et poteaux qui supportent l'étage supérieur sont d'aplomb, c'est
que vous avez sûrement un peu trop levé le coude!! Tapissé
d'inscriptions diverses, l'intérieur est tout aussi surprenant que l'extérieur.
Amusés par ce décor qui nous transporte dans une bande dessinée,
nous sommes à cette heure du jour les seuls visiteurs du lieu, qui connaît
paraît-il un succès considérable. Témoin peut-être
cet avion planté dans le sol à quelques dizaines de mètre
du bâtiment...
Le sourire aux lèvres, nous reprenons la route avec colin, 300 kilomètres
nous séparent encore de Melbourne, il est 18h.
Dans cette ville que nous ne connaissons pas, les adresses de camping que nous
possédons sont situées à l'écart de la route. Quant
aux backpackers aux tarifs exorbitants, si nous pouvions les éviter et
économiser ce soir le prix d'une nuit, ce ne serait pas plus mal! Nous
prenons notre décision en quelques secondes. Comme au Canada, nous allons
dormir 'à la sauvage' et planter la tente à quelques pas de l'autoroute.
Ainsi, alors que nous ne sommes plus qu'à 50 kilomètres de Melbourne,
nous demandons à Colin de nous déposer sur une bretelle de sortie.
-
Nous repartirons demain matin d'ici, lui annonçons-nous en le remerciant.
- Alors bonne nuit et bonne chance pour demain! termine-t-il avant de poursuivre
seul sa route.
Un rapide coup d'il nous permet de trouver le site 'idéal'. Situé
en surplomb de la bretelle d'accès très peu fréquentée
à cette heure, cachés derrière une végétation
qui ne trahira pas notre secret, nous plantons en quelques minutes la toile
alors que la nuit commence à tomber. Sans même manger, nous nous
allongeons dans nos sacs de couchage. Melbourne, ce sera pour demain.
Malgré la proximité de l'autoroute,
la nuit a été très bonne. Tandis que le trafic commence
à gonfler, nous tendons notre pancarte à des centaines de véhicules
qui nous ignorent... jusqu'à ce que Gail et Martin stoppent leur impressionnant
4x4 climatisé. Véhicule haut de gamme très inhabituel pour
nous, il trahit le standing élevé de ses occupants. Si la voiture
est une bulle qui permet de se couper du monde extérieur, la 'réussite'
sociale en est une autre , bien souvent impénétrable pour les
auto-stoppeurs que nous sommes.
Comme pour justifier ce geste qui est tout aussi incroyable d'un côté
comme de l'autre, les premiers de Gail sont les suivants:
- J'ai été routarde quand j'était plus jeune, alors je
sais ce que vous ressentez!
Ouf! 'Ils sont de 'notre monde' en dépit des apparences! Propriétaires
d'un domaine viticole produisant des vins 'haut de gamme', leur univers est
désormais loin du voyage en sac à dos. Et pourtant, nous nous
sentons immédiatement à l'aise ensemble, l'amour des rencontres,
de la route et des vins aidant sûrement!