Depuis maintenant quelques jours, l'idée
de chercher un travail saisonnier en Australie nous titille. En dépit de l'interdiction
formelle qui frappe les détenteurs d'un seul visa de tourisme, comme nous, nous
nous dirigeons maintenant vers la capitale australienne de la cerise : Young.
"La saison vient juste de débuter, nous dit-on partout. Celui qui veut
travailler trouve toujours une place de saisonnier! Sans problème", nous
assure l'homme qui nous dépose au centre de cette bourgade perdue de la Nouvelle
Galles du Sud. Depuis des kilomètres déjà, tout n'est que cerisiers. Sur des
hectares et des hectares, alignés au cordeau, on ne voit que cela. 'Et c'est
la même chose au sud de la ville !', nous dit-on.
Dans les arbres, des tonnes de cerises attendent les doigts de plus de deux
mille'cherries pickers' (ramasseurs de cerises) qui assiègent les propriétés
pour l'occasion.
Nous sommes le 29 novembre.
Totalement illégaux, nous enfilons pour la première fois le costume d'immigré
clandestin qui cherche du travail au noir. Mal à l'aise, nous ne savons pas
exactement à quoi nous attendre. Mira et Blanka, nos deux amis Tchèques, travaillent
déjà depuis quelques jours dans une ferme où ont été recrutés plus de cent saisonniers.
Avec leur statut de résidents, la situation est beaucoup plus confortable pour
eux qui ont, finalement, eu peu de peine à trouver un employeur. A notre tour,
avec un anglais qui n'aime pas beaucoup les fils téléphoniques, nous appelons
quelques numéros récupérés ici et là.
En dépit des réponses négatives ou polies, qui nous invitent à retenter notre
chance dans trois ou quatres jours, nous constatons avec joie que le visa ne
semble pas être leur préoccupation première. Encouragés par ce signe que nous
voulons positif, et sur les avis concomitants de toutes les personnes que nous
interpellons, nous nous enhardissons même à pousser la porte de l'ANPE locale,
spéciale 'travail saisonnier'.
Très gentiment reçus par une femme à qui nous n'avons même pas besoin de préciser
notre demande, elle nous accueille aussitôt par un :
- Vous cherchez du travail en tant que cueilleurs de cerises ? J'ai justement
quelqu'un qui recherche deux pickers!
Etonnés par l'efficacité d'un tel bureau de recrutement, nous discutons amicalement
avec cette femme d'une cinquantaine d'années, qui nous est très sympathique.
- Voyons un peu, coupe-t-elle après quelques minutes, il me faut vous enregistrer
informatiquement. Vous voulez bien me montrer vos passeports avec vos visas
de travail , s'il vous plaît?...
Jouant les parfaits étonnés, nous tendons nos passeports, tamponnés d'un seul
visa de tourisme.
- Vous n'avez pas de visa de travail ? s'étonne-t-elle.
-... de quoi? feignons-nous de comprendre.
- Oui, poursuit-elle, de 'Working Visa'. Pour travailler en Australie, ce document
est indispensable… sinon, vous serez considérés comme des travailleurs clandestins...
- Ah bon? , même pour un travail saisonnier???… Nous ne savions pas!! mentons-nous
effrontément à cette femme qui travaille pour le gouvernement.
Et de nous expliquer pendant plusieurs minutes ce que nous savons en large,
en long et en travers.
- C'est dommage ! poursuit-elle…. A moins que l'employeur ne veuille bien vous
employer au noir…
Nous n'en croyons pas nos oreilles!!!
- Tenez! termine-t-elle en inscrivant un numéro de téléphone sur un papier.
Voici le numéro d'un fermier qui recherche deux pickers. Essayez de vous arranger
avec lui, mais attention : moi, je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais
vus ! se couvre-t-elle en nous laissant la quitter, le sourire aux lèvres.
Nous n'en revenons pas ! Nous savions les Australiens serviables, mais là, ça
dépasse les limites!!
Requinqués moralement par ce coup de pouce
qui nous indique que tout espoir n'est pas perdu, nous sautons sur le premier
téléphone où nous avons le regret de nous entendre dire que les places sont
pourvues ! "Rappelez en début de semaine prochaine, si vous voulez!"...
Young, c'est un peu le trou du cul du monde. A part la cerise, il n'y a vraiment
rien à faire, ici. Au prix du camping (14,30 AU$, soit environ 57frs la nuit),
il nous faut trouver du travail rapidement ou bien décamper.
Au supermarché local, nous rencontrons par hasard Cécile et Géraldine, deux
jeunes Françaises venues faire la saison. Sans plus d'autorisation que nous,
elles nous redonnent espoir et nous laissent espérer que tout n'est pas joué...
C'est décidé, demain nous prenons notre bâton de pèlerin et ferons du porte
à porte. Sans véhicule autre que notre pouce et nos jambes, la journée du lendemain
nous permet de visiter sept employeurs potentiels. Si le premier nous décourage
aussitôt en nous demandant d'emblée notre visa de travail, les autres disent
" être complets pour l'instant, de repasser dans quelques jours"…
Bref, c'est toujours le même cinéma. A nous entendre dire 'qu'il n'y a pas de
travail pour vous ici', nous essayons de nous projeter dans la tête d'un 'vrai'
chercheur d'emploi à qui personne ne donne sa chance. Mentalement, cette frustration
est très difficile à vivre, et si nos économies ne nous mettent pas le dos au
mur, nous comprenons la situation d'un sans -travail qui a une famille à nourrir…
- On essaye encore demain. Si ça ne marche pas, on file sur Melbourne, d'accord
?
- D'accord, répond Caroline, qui a tout autant que moi l'impression d'avoir
fait la manche toute la journée.