Les
batteries rechargées après une longue nuit de sommeil, nous nous remettons comme
prévu en route à la recherche de l'impossible travail.
- Vous cherchez un travail ? nous demande la réceptionniste du camping. J'ai
un 'mate' (copain) qui recherche deux personnes. Tenez, allez le voir de ma
part, voici son adresse ! nous indique-t-elle en nous présentant un papier.
Et l'espoir de renaître, en tendant
le pouce en direction du nord de la ville. C'est un jeune Anglais sans permis
de conduire ("mais il ne faut pas le dire", recommande-t-il !) qui,
nous rapprochant de la dite adresse, s'arrête sur le parking d'une jardinerie
à la sortie de Young.
- Désolé, ajoute-t-il, je ne connais pas le coin…
- C'est pas grave, c'est parfait, merci… et attention aux flics!...
- Chut!…
En sortant de la voiture, une pancarte
attire notre attention : 'Pickers wanted' (On recherche des cueilleurs) . Bien
que nous ne soyons pas à l'adresse indiquée, nous décidons quand même
de tenter notre chance. Dans le petit café restaurant qui jouxte le magasin
où abondent des plantes de toutes sortes, un couple d'une cinquantaine d'années
en tenue de travail prend un thé.
-
Excusez-nous, messieurs-dames, nous venons de voir une pancarte disant que vous
recherchez des cueilleurs, entamons-nous en pointant du doigt la fameuse pancarte.
- Oui, c'est vrai ! et vous voulez commencer quand ? nous interroge l'homme
sans autre procédure d'embauche.
- Heu... hier matin ! répond-nous en plaisantant comme pour marquer notre volonté
de travailler rapidement.
- Bon, eh bien on y va alors ! je vous offre quelque chose à boire avant de
commencer? Un thé?...
Lance a 56 ans et porte bien âge. Kaye,
sa dynamique femme, navigue dans les mêmes eaux. Sous un chapeau typiquement
australien, les yeux bleus de Lance trahissent un esprit malicieux. S'il déplore
un peu de n'avoir pas suivi d'études comme son frère, avocat, il n'en est pas
moins très brillant. En un mot, c'est un fin businessman qui n'a pas
l'arrogance qui caractérise trop souvent ceux qui ont de l'argent.
Et pourtant Lance en a de l'argent, et il ne s'en cache pas. Humain, il aime
plus les personnes que les dollars. Mieux, il est même connu dans la région
pour être le meilleur employeur. Des neuf personnes qu'il emploie, tous nous
le diront : "Dans la région, il n'y a pas de meilleur patron. Nulle part
ailleurs, on est aussi bien qu'ici!" Un vrai plébiscite! Franc, direct,
Lance n'y va d'ailleurs pas par quatre chemins :
- Les fermiers qui font de la cerise ici sont tous de beaux salauds ! Ils font
travailler ceux sans qui les cerises seraient mangées par les oiseaux pour rien.
Et ils s'engraissent éhontément sur leur dos. Si je gagne bien ma vie avec les
cerises, je trouve normal de récompenser ceux qui travaillent pour moi en conséquence,
nous dit-il écœuré par l'exploitation de ses confrères. "Moi, je paye 18
dollars le lug (qui est une caisse de 15 kg) en fin de saison, parce qu'il y
a moins de cerises dans les arbres, 15 $ en pleine saison. Ça vous convient?..."
Etonnés par ce tarif hors du commun dans la région puisque les salaires oscillent
entre 8 et 9 $, nous avons décroché le jackpot!
- Le problème, s'excuse-t-il presque, c'est que je n'ai que quelques jours de
travail,. Mais si vous voulez, vous pouvez vous faire quand même un peu d'argent!
Arrivant maintenant en fourgonnette,
Kaye nous montre les arbres sur lesquels nous allons faire nos premiers pas.
- Voici vos paniers, nous dit-elle en nous présentant des récipients en plastique
munis d'une bride à passer autour du cou. Les lugs sont là et l'échelle est
là-bas. Travaillez-bien, je repasse tout à l'heure, termine-t-elle en s'éloignant
déjà, l'esprit occupé par une nouvelle tâche…