Reportage précédentReportage suivant Le temps des cerises

Caroline au travailUne fois de plus, nous sommes bénis des Dieux ! A peine avons-nous le temps de réaliser ce qui nous arrive que nous faisons déjà tomber nos premières cerises dans nos bacs. Le corps occupé mais l'esprit libéré, nous nous rendons compte que nous sommes tombés sur la perle rare. Le patron idéal qui sait qu'il n'est rien sans ses employés et qui les récompense à la hauteur de ce qu'il juge 'normal'.
Ici, point de voitures neuves ni de 4x4 utilisées pour épater la galerie et afficher sa puissance à tout son petit monde.
- Ça, c'est des conneries, nous dira Lance. Il y a 2 ans, j'ai acheté ce vieux camion Ford qui a 31 ans. Je l'ai payé moins de 2000 AU$ (environ 10000 frs). Il me fait le même usage qu'un neuf que j'aurais payé 30 fois plus… sourit-il malicieusement. Avec la différence, je peux décemment payer mes employés, sans les exploiter.Yannick dans le cerisier
Nous sommes aux anges ! Jamais nous n'avons encore entendu un discours qui nous fait tant plaisir. La juste rétribution des choses basée sur l'argent effectivement gagné et non sur un soi-disant prix-marché de la main-d'œuvre, fluctuant avec la loi de l'offre et de la demande, un peu comme le cours du porc…
Dans la région, Lance a peu de confrères-amis.
- A plusieurs reprises, on a tenté de me mettre des bâtons dans les roues, je suis gênant pour eux… d'autant que mon business marche pas mal ! se félicite-t-il avec un des rares sourires qui illuminent son visage plutôt froid. "Tiens, je viens même de racheter les terres de mon voisin endetté qui me prenait pour un imbécile!"

Quatre heures de travail plus tard, cerises après cerise, nous comptabilisons 75 kg de superbes cerises, plus les quelques grammes qui nous permettent de vous dire qu'elles sont vachement bonnes, les cerises de Young !
- Parfait ! nous encourage Kaye, étonnée par l'efficacité des débutants que nous sommes. Vous prenez un thé avec nous et je vous ramène au camping, si vous voulez. Demain, vous pourrez dormir sous le hangar, au fond du champ. Il y a une douche, c'est de l'eau froide mais c'est gratuit ! s'exclame-t-elle. C'est comme vous voulez !
Couple de galahsLe lendemain, en effet, nous prenons pension sous ledit hangar, qui nous ramène à notre triste condition d'immigrés clandestins travaillant au noir!! Ouvert sur un côté, ce grand bâtiment en tôle ondulée dans lequel un lavabo, une douche et un évier ont été rapidement montés, sert surtout de fourre-tout pour du matériel de réforme qui attend d'être transporté à la décharge. Bien que cimenté, le sol couvert de poussière est un paradis pour les araignées, qui se sont inventées des maisons sur les objets qui traînent un peu partout. En un mot, ce refuge correspond en tout point à un refuge de travailleur clandestin, prêt à disparaître dans la nature au moindre signe suspect! Nous avons l'impression d'être dans un reportage télé. Après un nettoyage rapide des lieux, nous choisissons finalement de dresser l'intérieur de la tente sur des cartons qui feront office de moquette… Tendue grâce à des ficelles, ce 'chez nous' indispensable pour nous isoler des bébêtes que notre arrivée à perturbées, sera, six jours durant, notre abri de fortune.

Levés vers 6h, nous attaquons nos longues journées vers 7h. Dans le verger où sont plantés plusieurs centaines de cerisiers, nous avons la mission claire de ramasser tout ce qui reste après un premier passage. Sous un soleil de plomb, dix à douze heures par jour, nous allons cueillir. Inlassablement. C'est à peine si nous prenons le temps d'admirer les nombreux cacatoes, perruches et autres perroquets qui volent au dessus de nous et nous surprennent toujours par leur cris inabituels.'Home sweet home"!!! Sans cet exotisme, nous pourrions nous croire dans un verger du sud de la France, mais les dizaines de galahs, ces perroquets au ventre rose, nous ramène à la réalité.
Nourris midi et soir dans le petit restaurant dont ils sont propriétaires, nous travaillons de notre mieux et remplissons rapidement un bas de laine qui ne connaissait depuis longtemps que la soustraction.
En parfaits employeurs à qui on ne pourra décidément rien reprocher, Kaye et Lance coupent même nos matinées et après-midi en nous apportant des rafraîchissements au milieu des cerisiers !
- Demain dimanche, il n'y aura pas de travail pour vous, nous annonce Lance. Les cerises doivent attendre lundi pour être parfaitement mûres. Je vous ai trouvé du travail chez un fermier que je connais. Il ne paye que 10 $ les 15 kilos, mais ça peut peut-être vous intéresser?...
Prêts à tout plutôt qu'attendre patiemment une journée dans une ville où il n'y a rien à faire, nous remercions Lance pour son geste.
- Alors Keith viendra vous prendre ici-même demain matin à 6h!, nous dit-il, visiblement satisfait de notre réponse.
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