Immense
cité comptant près de 3,5 millions d'habitants, Melbourne se caractérise
par la juxtaposition de quartiers organisés comme autant de petites villes
indépendantes où les buildings sont pratiquement absents. Très
verte, cette ville se révèle d'emblée très agréable
à vivre, même si tous les Australiens qui n'habitent pas la région
vous la décrivent comme étant la ville où il pleut tout
le temps et où il fait froid! Pour les Bretons que nous sommes, cette
description mesquine ne traduit que la jalousie et l'envie d' en faire partie.
Ici comme chez nous, il ne pleut tout au plus que trois fois dans l'année:
une fois six mois et deux fois trois mois!...
Quoiqu'il en soit, en ce dimanche 9 décembre 2001, il fait un temps magnifique
sur la capitale culturelle de l'Australie. Profitant de cette aubaine (!), nous
prenons un tram en direction d'Elwood, un quartier situé à quelques
pas de la mer de Tasmanie. C'est en effet ici qu'habite une Bretonne de Dinard
dont nous avons l'adresse.
D'elle, nous ne savons rien! Ni son âge, ni sa profession, si elle est
mariée, si elle est sympa: rien!! Tout ce que nous savons c'est son adresse
que nous tenons d'une cliente du frère de Caroline.
Non que nous soyons sauvages ni que nous refusions les rencontres 'organisées',
mais nous hésitons longuement avant de partir à la recherche de
'notre' dinardaise. De plus, nous ne savons même pas si cette personne
a été prévenue de notre éventuelle passage. D'un
autre côté, elle attend peut-être notre visite prochaine
et serait déçue que nous ne passions pas... Nous avons bien tenté
de téléphoner mais son numéro est sur liste rouge!
Finalement, plutôt que de manquer une rencontre qui pourraitt être
sympathique, nous partons à la recherche de l'adresse que nous tenons
en main. Après quelques hésitations, nous arrivons dans la rue
indiquée.
- Vous recherchez le numéro 273? s'étonne un épicier chinois.
La rue ne va pas au-delà du numéro 100 ou 120!
Nous voilà en face d'un beau problème! Reçue par mail,
l'hypothèse du chiffre mal écrit ne tient pas. Rouletabilles en
herbe, nous tentons de déchiffrer le mystère de la Dinardaise
d'Elwood!
- Si ça se trouve, elle habite au 27, l'appartement n°3, propose
Caroline dont le cerveau revisite les romans d'Agatha Christie.
- Eh oui! C'est pas bête! D'ailleurs, j'allais te le proposer! réponds-je
avec une mauvaise foi digne de celle de ma femme!
Arrivés devant le numéro 27, en effet, nous nous trouvons devant
un petit immeuble de trois étages. Sur les sonnettes: rien! Sur les boîtes
aux lettres: rien!!
Intrigué par nos allées et venues devant l'immeuble, un homme
nous interroge depuis un balcon:
- Je peux vous aider?
- ... Euh, oui, peut-être! Nous recherchons une Française qui habiterait
ici dans l'appartement n°3.
- Au numéro 3? répète-t-il, hésitant. C'est un jeune
couple qui habite là mais je ne crois pas qu'elle soit française.
Elle a quel âge votre amie?
- .. Ben, on sait pas! Nous exclamons-nous, embêtés. En fait ,
on a eu son adresse par une personne interposée. Bon, ben merci, on va
essayer de sonner!
Après plusieurs coups de sonnette,une voix fatiguée d'une femme
que nous venons visiblement de réveiller nous parvient de l'interphone:
- Yeah?
- Excusez-nous de vous déranger, est-ce-que je suis bien chez Patricia
la Française? me risquai-je en anglais.
- No! réponds la voix agacée avant de raccrocher.
Toujours sur son balcon, l'homme s'interroge:
- Alors?
- Non, c'est pas là! réponds-je un peu déçu
- Mais c'est quoi l'adresse que vous avez? C'est quel numéro?
- Au 273 de cette rue! Mais la rue ne va pas jusque là, alors on avait
pensé au 27, 3 ème appartement...
-
Vous n'avez pas de tiret entre les chiffres? poursuit notre homme visiblement
prêt à nous aider.
- Non, rien!
- Ici, normalement, on met un tiret entre le numéro de l'immeuble et
celui de l'appartement. Alors ça peut être au n° 2, le 73 ème
appartement, ou au 73, le 2 ème. Faut voir!
Forts de cette indication supplémentaire qui nous prouve que notre idée
n'était pas tout à fait idiote, nous descendons finalement la
rue en direction de la mer, éliminant d'emblée la probabilité
qu'il y ait 73 appartements au n°2 . Au 73, en effet, des boîtes aux
lettres -où aucun nom n'est marqué-témoignent de la présence
de 4 appartements. Un peu hésitants, après avoir tenté
de préparer une phrase d'introduction à peu près claire,
nous appuyons sur la sonnette.
Une deuxième puis une troisième fois. Personne!
Dans cette petite propriété bordée par un mur qui le sépare
de la maison voisine, tels des voleurs, nous osons un regard à travers
une fenêtre sans rideau. Celle-ci donne sur un large salon où nous
essayons de trouver un indice supplémentaire. Et rapidement notre regard
s'attarde sur un livre d'enfants en français!
- On dirait qu'on est pas loin de la vérité, non?
- Oui! s'exclame Caroline , comme soulagée d'avoir retrouvé la
trace d'une concitoyenne.
- Ça veut dire qu'elle a des enfants...
- Ou des petits-enfants!
- A moins qu'elle ne soit très jeune! finissais-je en rigolant.
- On fait quoi?
- On laisse un mot et on repasse plus tard, non?
Quelques minutes plus tard, écrit sur un bout de carnet, nous laissons
bien en vue le message suivant:
' Bonjour,
nous ne nous connaissons pas mais nous avons eu votre adresse par Mme Untel
de Dinard.
Nous sommes deux globe-trotters bretons dont elle vous a peut-être parlé.
Nous étions passés vous donner un petit bonjour,
nous repasserons en fin d'après-midi.
Caroline CARRASCO de Dinard et Yannick THOMAS'
- On va bien voir ce que ça donne...
- On va manger un morceau au bord de la mer... de Tasmanie?
- Hé, frime pas! Commence plutôt à sortir le réchaud.
On mange quoi?
- Ben, j'sais pas moi. Des pâtes, ça te dit?
Et nous nous installons à l'abri du vent, à quelques pas des vagues
qui s'écrasent sur une plage bien maigrelette où seuls quelques
aventuriers bravent la température de l'eau. Malgré les quelques
milliers de kilomètres qui nous séparent de l'océan glacial
antarctique, les courants venant du sud ne sont jamais synonymes de grande chaleur
ici, témoin ce vent frisquet qui nous empêche de profiter pleinement
du soleil aujourd'hui.
Devant nous, des dizaines d'amateurs de cerfs-volants s'entraînent ou
s'amusent sous les regards des promeneurs du dimanche, venus profiter de ces
premières journées estivales. Un peu marginaux dans ce décor,
nous commençons notre déjeuner devant un spectacle fascinant offert
par 3 cerfs-volants synchronisés.
Plus loin, d'autres se font tracter par des ailes de plus grandes dimensions.
Trois heures durant, à l'abri du vent, nous en prenons plein les yeux
avant de retenter une visite chez la Dinardaise. De retour devant la porte,
le mot n'est plus là. Nous sonnons. Aussitôt, une jeune femme visiblement
non francophone nous ouvre la porte avec un large sourire. En anglais, elle
enchaîne tout de suite avant que nous ayons eu besoin d'expliquer le pourquoi
du comment de notre visite:
-
Bienvenue! Entrez! Patricia n'est pas là pour l'instant mais elle ne
devrait pas tarder. Elle est partie avec sa fille mais sera ici bientôt.
Alors vous êtes de Dinard? Comme Patricia et Jean-Christophe?
En quelques minutes, Cathy la Galloise nous explique. Elle est la copine de
Jean-Christophe, le frère de Patricia, qui habite effectivement bien
ici, avec India sa fille. Ensemble, ils partagent ce très grand appartement
depuis deux ans et demi. En découvrant le mot, Jean-Christophe qui se
repose après 12 heures de travail, a été surpris. A priori
donc, personne n'est au courant de notre visite éventuelle....
Mais Cathy nous met très rapidement à l'aise, visiblement heureuse
de recevoir de la visite.
Nous discutons depuis à peu près un quart d'heure devant une bière
(!), quand la porte du jardin s'ouvre devant une petite fille suivie de près
par sa maman.
- Hi! nous dit-elle avec le sourire.
- Bonjour! répondons-nous heureux d'avoir en face de nous la solution
de notre mystère du jour!
En quelques phrases, nous nous présentons, expliquant comment nous avons
atterri ici.
- Ah, c'est super d'être passé. Alors comme ça, vous êtes
partis depuis depuis près de 15 mois? C'est génial, ça!
Très rapidement, nous nous sentons bien ensemble, Patricia et Caroline
échangeant des souvenirs du pays, où elles se trouvent des connaissances
communes.
Quelques minutes plus tard, c'est Jean-Christophe le cuistot qui fait son apparition.
- On dirait qu'il y a des Français dans le coin! entame-t-il
- Des Bretons, en plus! renchérit Patricia. Caroline est de Dinard, elle
a eu notre adresse par Mme Untel.
- Ta tête me dit quelque chose... poursuit Caroline à l'adresse
de Jean-Christophe.
Et la conversation de fuser dans tous les sens, comme si nous nous connaissions
déjà.
- Au fait, vous avez un endroit pour dormir ce soir? nous demande Patricia au
bout d'un moment.
- Non, on va trouver un backpacker ou quelque chose dans le genre...
- Restez à la maison, on va vous trouver une place dans le salon., nous
propose-t-elle naturellement.
- C'est gentil, merci, mais on veut pas déranger...
- Bah! Arrêtez! On s'fait une petite bouffe ensemble pour fêter
ça, enchaîne-t-elle aussitôt.
- Y a plus rien dans le frigo! annonce déjà Jean-Christophe
- Ben, on s'fait un p'tit resto alors! Ça vous dit?
- Super! terminons-nous, heureux de nous sentir 'presque déjà'
comme chez des copains.
Avec Glenn, l'ami de Patricia, nous terminons ensemble la soirée dans
un petit resto de Sant Kilda.
Vers minuit, après un dernier café à la maison, nous nous
allongeons dans nos sacs de couchage, après une journée assez
inattendue.
- On a du pot quand même, tu crois pas?
- Eux aussi!! terminai-je en rigolant.