En entrant en Iran, nous rêvons à un
autre monde. Tout comme pour le Pakistan, les échos des voyageurs sont
presque tous favorables. Et ça nous fait un peu peur... Pourtant, dès
notre entrée dans le poste de douane iranien, le miracle semble se produire.
Ici l'accueil contraste notablement avec celui de son voisin. Et plutôt
que nous embêter à nous faire vider nos sacs, les douaniers préfèrent
discuter gentiment avec nous en nous offrant le thé. Ça part plutôt
bien. République Islamique oblige, dès notre arrivée sur
le sol iranien, Caroline a revêtu un foulard pour dissimuler ses cheveux,
symbole de féminité 'provocateur' aux yeux des ayatollahs. Mais
de cela nous sommes déjà au courant, et ce n'est pas une surprise.
Quiconque entre dans ce pays connaît ces obligations, qui, faute d'être
respectées, vous attirera dans la minute les foudres de l'omniprésente
Police des murs, omniprésente sur tout le territoire. Si nous sommes
loin de cautionner par notre présence un régime rétrograde
qu'il est difficile de ne pas condamner, nous voulons, en revanche, faire découvrir
avec le bout de notre lorgnette, un peu du quotidien de ce peuple. Le régime
est une chose, les personnes qui le subissent appartiennent à un autre
monde, loin de partager dans leur cur les idéaux d'une révolution
confisquée par les mollahs. Ainsi, depuis la révolution de 1979
- qui vit l'arrivée au pouvoir du tristement célèbre Ayatollah
Khomeiny-, le pays a beaucoup souffert. L'arrivée au pouvoir du modéré
Rafsandjani en 1993 a ouvert de nouvelles perpectives, sous contrôle toutefois
du tout puissant nouveau Guide de la Révolution, Ayatollah Khamenei,
pilier de cette interprétation radicale du Coran à la sauce chiite.
Malgré tout cela, l'espoir de la population et de la jeunesse en particulier
est immense. Loin des clichés manipulateurs et des raccourcis de propagande
trop souvent ressassés en occident, c'est cet 'Iran des gens' que nous
voulons rencontrer.
A la sortie du poste de douane, quelques chauffeurs de taxis nous font remarquer
leur présence, sans plus. Dopés par la dernière portion
de route au Pakistan, nous décidons de tenter notre chance en stop de
ce côté-ci de la frontière. Des bus partent dans la soirée,
nous ne serons pas à la rue. Quelques explications aux policiers de faction,
et nous traversons sans difficulté le no man's land côté
iranien à pied avant de tendre le pouce. Pas sûrs d'avoir bien
compris comment nous allons sortir de ce trou en plein désert, nous éconduisons
gentiment quelques taxis qui retentent leur chance. Dix minutes d'attente, et
c'est un douanier qui termine sa journée qui nous monte à bord
de sa voiture tout à fait occidentale.
- Vous allez à Zahédan? l'interrogeons-nous.
- Pas tout à fait... réfléchit-il avant de se reprendre.
Allez, je vais vous emmener jusque là-bas! nous propose-t-il gentiment.
Et nous filons à 120 km/h sur un ruban d'asphalte parfait, comme nous
n'en avons plus vu depuis quelques long mois maintenant.
- Voyez, j'habite ici, nous indique-t-il après une vingtaine de kilomètres.
Zahédan se situe à près de 80 kilomètres d'ici...
Il est vrai qu'en Iran le litre d'essence ne coûte que quelque chose comme
5 cts d'euro, mais quand même! Nous sommes vernis.
A droite de la route, une chaîne
de petites montagne met un terme au plateau désertique sur lequel nous
sommes. Au-delà de ces superbes reliefs genre papier rocher, se situe
l'Afghanistan, terre de tous les trafics si on en croit notre interlocuteur.
A l'est, une barrière grillagée le long de laquelle patrouillent
des policiers est censée stopper les trafiquants.
Vers 16 heures, notre aimable chauffeur nous dépose dans la rue même
d'où partent les bus pour le reste du pays. Nous le remercions comme
il se doit, et déjà il fait demi-tour.
Notre visa iranien n'excède pas 7 jours, et nous savons déjà
qu'il est illusoire vouloir visiter ce pays immense en si peu de temps. Même
si nous avons de bons espoirs de voir prolonger ce dernier, rien n'est encore
joué. Aussi devons-nous aller rapidement à l'essentiel. Et l'incontournable
numéro un que nous ne voulons manquer sous aucun prétexte est
sans hésitation la superbe citée d'Isfahan (appelée autrefois
Ispahan). Ville magique, ville de légende, Isfahan reste un des joyaux
de la culture perse, la capitale culturelle de l'actuelle République
Islamique d'Iran. Nous commençons déjà à rêver...
Abdel,
quant à lui, a décidé de rejoindre Bam, plus au sud. Après
avoir bataillé quelque peu pour changer au noir le reste de nos roupies
pakistanaise -nous sommes vendredi aujourd'hui, le dimanche des musulmans: toutes
les banques sont fermées-, nous prenons un rapide repas d'adieu dans
un restaurant aux allures très ancienne république soviétique.
Et nous rejoignons notre bus ... finalement à trois, Abdel vient à
nouveau de changer d'avis, il ne veut désormais plus nous quitter!
Dans ce bus moderne au confort tout à fait occidental, nous ne déplorons
qu'un détail : le réglage de l'air conditionné 'à
l'iranienne'! Si la canicule estivale exige sûrement l'air conditionné,
la température actuelle ne nécessite, à notre avis, certainement
pas la puissance de chauffage qui fait grimper la température intérieure
à près de 30°C! Nous suffoquons littéralement, mais
c'est semble-t-il leur façon de régler le chauffage. Aussi décidons-nous
de prendre notre mal en patience.
A bord de ce bus, nous notons la présence de quelques femmes, voilées
bien entendu, mais pas toujours accompagnées. Et déjà leur
tenue vestimentaire, les regards et la coquetterie mal dissimulée nous
interpellent: nous ne sommes décidément plus au Pakistan. Derrière
ce déguisement obligatoire qu'elles exècrent, se cachent à
peine des femmes parfois très modernes, qui semblent loin de n'être
que les 'surs de', ou les 'mères des enfants de', soumises aux
diktats des hommes auxquels elles appartiendraient. La suite nous confortera
dans cette impression.
A Yazd, petit incident. A la gare routière, nous sommes invités
à changer de bus pour terminer le voyage. Dociles, nous n'y voyons aucun
inconvénient... sauf quand le chauffeur nous explique que nous devons
nous acquitter d'un supplément, ce bus appartenant à une classe
supérieure. De nouveau sur la défensive alors que nous commencions
à nous détendre, tickets en main, je précise:
- Nous sommes désolés mais nos titres de transport indiquent que
nous avons payé pour le trajet Zahédan - Isfahan, le reste ne
nous concerne pas, nous sommes désolés.
Petit conciliabule du côté des employés de la compagnie
de bus, ... et nous sommes invités à prendre place dans ce bus
effectivement plus récent avec des excuses. L'incident est clos.
Il est 15h00 comme nous débarquons dans cette ville mythique d'Isfahan,
synonyme des Mille et Une nuits, orient exotique des Lettres Persanes... Le
seul fait de poser le pied dans cette ville chargée de tant d'histoire(s)
est un rêve qui se réalise. Nous sommes d'autant plus chanceux
que nous avons un contact à Isfahan. La belle-sur d'un de mes anciens
collègues de travail réside en effet ici, où elle est mariée
à un Iranien, professeur d'université. Par mail, nous sommes déjà
entrés en contact avec Chantal et Fereidoun, "qui nous attendent",
mais aussi bizarre que cela puisse paraître, nous sommes intimidés.
Non que nous refusions la chance inouïe de rencontrer des locaux francophones,
mais nous ne voulons pas nous imposer, et peut-être devenir l'objet d'un
service qu'on ne refuse pas à un beau-frère... Tout cela est très
bête sûrement, et ces personnes avec qui nous avons échangé
des mails amicaux, sont sans doute des personnes charmantes. Craindrions-nous
ne pas trouver d'atomes crochus avec ces inconnus, que la conversation soit
pesante, composée de plus de blancs que de paroles? Le genre où
tout le monde est mal à l'aise et voudrait disparaître sans toutefois
offusquer des règles minimum de savoir-vivre...
- Mais pourquoi se pose-t-on tant de questions! coupe Caroline. On est nul ou
quoi!!
- Allez, on y va. On va bien voir... Et puis je suis sûr que ce sont des
gens charmants! ajoutai-je pour nous donner du courage. .
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