Situé
à quelques kilomètres au nord de Kathmandou, c'est en rickshaw
à moteur que nous arrivons tous les quatre ce matin à Pachupatinath.
- 40 Roupies, nous demande le chauffeur indélicat.
- 40? C'est bizarre: 5 roupies x 4 = 20 roupies. Désolé, mais
on connaît les prix!
Et nous lui tendons un billet correspondant au tarif normal. Qu'il refuse! Il
veut maintenant 8 roupies par personnes! Refusant de jouer plus longtemps à
ce jeu, nous lui balançons le billet de 20 et tournons les talons tandis
qu'il s'énerve tout seul, criant des noms d'oiseaux que nous ne connaissons
pas... Nous n'avons il est vrai pas de temps à perdre avec un tel personnage,
une des visites les plus surprenante de la capitale nous attend: Pashupatinath.
Dédié à Çiva, l'une des trois déïtés
-avec Brama et Vishnu- les plus importantes du panthéon hindou qui en
compte plusieurs centaines, Pashupatinath s'avère être un des lieux
les plus sacrés du pays. Edifié au XVII ème siècle
sur les rives de la Bagmati, l'ensemble architectural est impressionnant. En
dehors du temple d'or dont l'entrée
est réservée aux seuls hindous -tant pis pour nous!-, la profusion
de mini-temples, de monastères et de sculptures où
quelques dizaines de touristes se mélangent aux pèlerins et saddhous,
donnent le ton. Mais nos yeux de voyeurs sont d'avantage attirés par
la cérémonie très spéciale -pour nous occidentaux-
qui se déroule en contrebas, sur un ghât surplombant cet affluent
du Gange. A ce titre, Pashipaninath est le pendant de sa grande soeur indienne,
Bénares (également appelée Varanasi), un haut lieu de crémation
rituelle pour les hindous népalais.
Face aux ghâts circulaires où
les saddhous qui habitent le lieu viennent faire leurs ablutions, des ghâts
de crémation accueillent pour un dernier voyage, les corps d'hindous
drapés d'un linceul. Dans un silence à peine troublé par
les prières funéraires des brahmanes, une première cérémonie
à laquelle nous allons assister se déroule sous les yeux de tous,
troublante intrusion dans les derniers instants terrestres d'une vie qui va
bientôt partir en fumée. Si le moment est solennel, nous ne nous
sentons à aucun moment mal à l'aise. Contrairement à ce
que l'on pourrait croire, rien n'est ici morbide. Dans la religion hindoue,
la mort est le passage qui permet la réincarnation, et peut être
sortir du cercle sans fin des renaissances et enfin atteindre le nirvâna.
Le karma du défunt décide de tout.
Impressionnés, les parents de Caroline affichent un visage fermé.
Pour notre part, nous revivons un rituel auquel nous avons déjà
assisté à Bénarès il y a quatre ans. Mais rien n'y
fait, on n'assiste jamais à un tel évènement de manière
détachée. Toute mort rapelle que nous ne sommes tous que de passage
sur terre.
Autour
du corps posé sur le bord de l'affluent sacré pour un dernier
bain de pieds rituel, une poignée d'hommes recueillis mènent à
bien les derniers préparatifs. Ce sont des proches du défunt.
En signe de deuil, ils viennent de se raser le crâne, en amont du ghât
où la crémation débutera dans quelques minutes. Le maître
de cérémonie vient d'achever la construction du bûcher sur
lequel, après cinq tours rituels, le cadavre porté par ses proches
rasés, vient d'être posé. L'instant est grave, le silence
lourd. Sous les regards recueillis, l'intouchable responsable du bûcher
recouvre maintenant le corps enveloppé dans son linceuil safran de paille,
puis, découvre le visage pour introduire dans la bouche ouverte un comburant
efficace. C'est à ce niveau que le fils aîné du défunt
présentera une torche allumée, qui, en quelques secondes, mettra
feu au bûcher tout entier. Une page vient de se tourner.
Trois heures seront nécessaires pour que le feu purificateur fasse son
oeuvre, nourri par les bons soins de l'intouchable officiant. Le corps consumé,
quelques cendres sont alors symboliquement recueillies dans une urne pour être
enfouies au milieu de la rivière sacrée par l'homme qui a embrasé
le bûcher. L'officiant pousse alors les restes du bûcher dans la
Bagmati. Les centres du mort verront le Gange.
Cinquante mètres en contrebas, dans un autre ghât, un corps vient
d'être posé sur un autre bûcher...
Un peu remués, nous quittons maintenant
le bord de la rivière sacrée et nous dirigeons vers la forêt
qui la surplombe. Le jeu des dizaines de singes qui y habitent nous change d'univers.
Sur la droite, un temple monumental à ciel ouvert est le siège
d'un autre spectacle auquel nous jetons un oeil tout aussi amusé. Ici
en effet, des saddhous décorés 'comme dans les livres' se prêtent
à un véritable numéro de cirque. Face à eux, tels
des photographes de presse à la sortie du conseil des ministres, des
touristes canalisés les observent, ahuris face à la qualité
des exercices de contorsion qu'ils présentent.
Non pas des exercices en rapport
avec leur spiritualité mais
d'avantage avec l'intérêt pécuniaire qu'ils peuvent en retirer.
Sous la houlette d'un saddhou-caissier, les saddhous-contorsionnistes, les saddhous-aux-tronches-pas-possibles,
décorés et peints comme il se doit, vendent leur image 'spirituelle'
aux touristes qui font la queue pour une photo, à 50 ou 100 roupies,
selon la position. Nous ne sommes pas ici dans une maison close en plein air,
mais presque!! Et gare aux resquilleurs qui tentent de shooter au télé-objectif
sans passer à la caisse! Les adorateurs saddhous-matons de Çiva
ont l'oeil partout. Un seul mot suffit et les top-modèles se cachent, le
voleur pointé du doigt sous les cris incendiaires du chef caissier qui
voit ainsi se réduire le chiffre d'affaire potentiel de la journée.
Et pour toutes les mauvaises langues qui prétendent qu'on est ici assez
loin de l' "esprit saddhou", nous hurlons avec les loups que "Çiva
c'est bien joli, mais ça ne nourrit pas son homme! Et puis la ganja n'est
pas gratuite non plus, OK??"
En pénétrant dans l'ashram -lieu de vie des saddhous- de Pashupatinath,
je parviens à entrer en contact avec le saddhou contortionniste qui posait
quelques minutes plus tôt devant plusieurs appareils photos. Rageant de
ne pas avoir de photos de ces exploits surprenants, je lui explique qu'une photo
réussie est pour moi la récompense d'un échange, pas d'une
transaction. En un quart d'heure de conversation, cet homme de 35 ans me résume
rapidement ce qu'est sa vie de saddhou, vouée au dieu Çiva, les
heures d'exercices physiques qui ont transformé son corps en élastique,
et l'importance de la marijuana qu'il consomme à longueur de journée
pour demeurer dans le monde qu'il s'est choisi. Sentant mon
envie d'immortaliser sur pellicule cette rencontre insolite, il me propose avant
que je ne m'éloigne:
- Si tu veux faire une photo, vas-y!
- OK, mais sans bakchich! insisté-je
- Pas de problème, vas-y!...
Je viens de gagner ma bataille! Cette photo -non numérique, excusez-moi
pour le site!- correspond exactement à mon éthique. En le remerciant
pour ce moment, il ajoute, le regard pleinde malice :
- Et si tu veux plus de photos de moi, quand je fais mes exercices par exemple,
reviens demain ... avec une paire chaussures! Regarde les miennes dans l'état
qu'elles sont... pleure-t-il.
Mais je m'éloigne déjà, en lui rendant un clin d'oeil complice.
Décidément, il ne perd pas le nord celui-là!
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