Le
jeudi soir, comme prévu, l'arrivée de plusieurs hommes du comité
-et des curieux!- sur le lieu du chantier est pour nous plutôt bon signe.
A la tête du groupe, le chef du comité nous annonce fièrement
:
- Voilà, tout est là!
- Et bien c'est parfait ça! m'exclamai-je. On a préparé
la pièce, tout est propre, nettoyé.
- On commence demain matin alors! annonçons-nous, finalement heureux
de constater que la situation se débloque enfin.
Notre seconde victoire en quelque sorte!
Et c'est ainsi que nous attaquons ENFIN le chantier, le vendredi matin... Tandis
que nous installons un échafaudage bricolé avec deux tonneaux
sur lesquels reposent deux planches, les "experts" locaux venus en
nombre pour le vernissage, préparent la peinture. Dans des seaux, à
l'il et au pif, la peinture en poudre est mélangée à
de la colle blanche, de l'eau, de la lessive et du gros sel, le tout en quantité
"suffisante". Je ne vous dit même pas l'homogénéité
du mélange.... Pour étaler cette mixture qui a plus la consistance
d'un lait de chaux ultra-dilué qu'à de la peinture, trois pinceaux
de 7 cm de large et... des brosses à tableau d'écolier (en feutre!)
qui font, nous assure-t-on, "très bien l'affaire". En très
peu de temps, nous les laisserons de côté, ne connaissant sûrement
pas la technique adaptée pour les utiliser efficacement...
Après quelques photos "officielles" du premier coup de pinceau
donné par le responsable local -comme les politiques chez nous, sous
les flashs les "intellectuels" deviennent manuels!-, nous entamons
le chantier, sous évidemment des des dizaines d'yeux venus assister au
spectacle!
Et
ce que nous craignions arrive. Très liquide, la peinture est littéralement
"bue" par le ciment des murs qu'elle ne fait que mouiller!
Bien que sceptiques, nous poursuivons en plaisantant sur le ridicule de l'opération.
Acharnés, nous mouillons ainsi les mètres carrés de mur
à la vitesse d'un escargot. En séchant, une vague teinture blanchâtre
prend naissance, récompensant nos heures de barbouille. Deux voire trois
autres couches seraient nécessaires pour obtenir un résultat acceptable
visuellement. Mais nous ne pouvons pas grand-chose. Nous faisons de notre mieux
avec les outils mis à notre disposition. Pour ce qui est de la tenue
de la peinture, nous constatons amèrement que cette pseudo préparation
n'accroche pas vraiment aux parois. Sous le seul pouvoir abrasif d'une main
frottant le mur de manière un peu appuyée, elle se réduit
en poudre qui tombe sur le sol... Nous avons l'impression de travailler pour
rien!
Déjà bien entamé par les épisodes précédents,
le moral est au plus bas. Après 5 heures de travail sous les regards
de plusieurs observateurs de passage, Patrick jette l'éponge.
- C'est bon, dit-il, moi, je ne continue pas à travailler dans ces conditions.
Si nous partageons entièrement son opinion, nous nous accrochons. Ne
serait-ce que pour nous. Nous voulons terminer le travail commencé, même
si le résultat ne nous satisfait que très moyennement.
- Il ne faut pas non plus qu'on s'attende à obtenir l'aspect d'une peinture
acrylique étalée au rouleau, on fait avec ce qu'on a! nous rassurons-nous.
Le plus décevant, c'est le résultat obtenu après autant
d'heures. C'est du gâchis! En dépit de notre découragement,
Caroline et moi poursuivons, entamant maintenant la seconde couche qui nous
redonne du baume au cur. Certes, c'est loin d'être parfait, mais
le blanc apparaît maintenant beaucoup plus nettement!
-
Eh Patrick, viens jeter un il! l'appelons-nous triomphants...
- Bon, ben c'est pas mal, confirme-t-il. Avec ce qu'on a!!...
Jusqu'à la nuit, nous peignons ainsi sans relâche, désireux
d'en finir au plus vite avec ce mauvais plan.
De retour, deux "inspecteurs de travaux finis" réapparaissent
et viennent voir notre travail. Laconique, le seul commentaire est :
- No like! (On n'aime pas!)
- Pardon? sursautons-nous, espérant ne pas avoir compris.
- No like, no good! (On n'aime pas, c'est pas beau!) reprend l'homme, montrant
du doigt la partie qui n'a encore reçu qu'une seule couche.
Observant maintenant les deux murs encore humides sous la seconde couche, il
réitère: "no like, no like!".
Notre sang ne fait qu'un tour. Ça fait quatre jours qu'on se bat pour
faire avancer un projet qu'ils observent les mains dans les poches depuis plusieurs
mois, ils nous fournissent une peinture de merde, on s'est cassé le derrière
à travailler sans relâche toute la journée sous les regards
d'une poignée de fainéants qui n'a pas mis la main à la
pâte et passé sa journée à glander, pour s'entendre
dire: "No like!"?? C'en est trop!
- "No like"? Tu es capable de mieux faire toi? T'as une méthode
adaptée au matériel pour faire de ce mauvais travail du beau boulot?
Eh bien tu n'as qu'à le faire! m'emportai-je en stoppant le travail sur
le champ.
- Les Népalais sont capables de mieux faire? ajoute calmement Caroline.
- Oui! répond-t-il, sûr de lui.
- Eh bien, montrez-nous, on serait ravi de voir ça!
- C'est ça, montrez-nous! reprenais-je. Piqué au vif, je poursuis:
On ne sait pas travailler, eh bien comme on ne veut pas non plus gâcher
la peinture que vous avez achetée, faites-le vous-même! Nous, on
ne continue pas à travailler tant que vous, les experts, nous montriez
comment faire. Alors que ceci soit clair: demain, on ne travaille pas, on vous
regarde et on verra si vous faites mieux! terminai-je, persuadé du résultat...
"No like", reprends-je alors que nous nous éloignons, j'vais
t'en fout' moi, du "no like"!!!!...
Sur le cul, nos deux "no like" restent là sans voix, la balle
est dans leur camp. On verra bien demain.
Racontant la scène à Patrick, il est tout aussi dégoûté
que nous. Mais nous n'allons pas nous laisser abattre pour autant: notre cuistot
belge nous a concocté un repas maison, cuit sur notre feu de bois quotidien,
ça va nous requinquer!
Remontés comme des pendules, nous nous repassons le film de la semaine.
Foireux dès le départ, le mauvais plan continue. Mais c'est aussi
comme ça qu'on apprend, n'est-ce pas!...
Le
samedi matin, premier jour de "grève" (!!), nous avons tôt
le matin, la visite du responsable du projet. De passage dans la pièce,
il est vrai que le résultat n'est pas fantastique, mais compte-tenu des
circonstances, le travail est, à notre avis, loin d'être mauvais.
- Vous terminez aujourd'hui? nous invite-t-il, mielleux.
- Ah non! Le travail n'est pas bon, nous ne savons pas travailler! Aujourd'hui
on est là pour apprendre! Vous avez dépensé suffisamment
d'argent pour que nous le gaspillions, plaidons-nous coupables... Comme les
Népalais travaillent mieux, aujourd'hui on observe, ça nous intéresse,
insistons-nous, faussement calmes.
Voyant qu'il ne pourra nous faire bouger d'un iota, il nous laisse, tandis qu'un
groupe d'hommes du comité rapplique pour voir ce qui se passe.
De notre côté, nous passons la matinée à faire la
lessive et profiter du soleil. Le comité réuni, c'est vers midi
(trois heures plus tard!) que le responsable de NAMASTE et le gardien ("no
like") retroussent enfin leurs manches et reprennent le flambeau. Nous,
on rigole déjà!
Une demi-heure plus tard, sans un mot, ils quittent le chantier!! Curieux et
surpris qu'ils aient pu finir le travail en si peu de temps, nous pénétrons
dans la pièce et constatons, le sourire en coin...
- No like!! irronisai-je face à ce travail ni fait ni à faire.
Quelques coups de pinceaux ont été donnés pour tenter de
couvrir un des pans de mur, de manière on ne peut plus irrégulière
et bâclée. Si notre travail n'était pas parfait, le leur
est franchement mauvais.
Les dés sont jetés: ils se sont moqués de nous, qu'ils
se débrouillent avec leur peinture et leurs pinceaux, nous, on rentre
demain sur Katmandou!
Il fait encore très beau cet après midi. Le linge sèche. Et le mieux est encore de considérer cette première expérience d' "aide humanitaire" -pour nous deux, Patrick c'est sa troisième au Népal- avec philosophie, en profiter des dernières heures dans ce paysage qui n'est pas laid du tout...!
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