Reportage précédent Reportage suivantInterview d'un maoïste

Interview du maoïsteCette dernière journée d' "aide humanitaire" (!) s'achève paisiblement sous le chaud soleil de cette fin octobre. Caroline et Patrick lisent dehors, je me repose sur le lit dans la chambre... Tout à coup, comme une bombe, un homme d'une vingtaine d'années accompagné d'un jeune homme font irruption dans le couloir. S'adressant tout d'abord à Patrick, il annonce, péremptoire: "Il faut que je vous parle!"
Sortant d'une demie torpeur, Patrick lève les yeux, essaye de comprendre qui est cet hurluberlu qui entre ainsi 'chez nous' sans frapper (!), et répond :
- Mais je ne suis pas tout seul! Les autres doivent peut être savoir ce qui se passe!
- Vous êtes combien?
- Trois, répond-t-il, étonné.
S'avançant maintenant vers Caroline, il lui repose la même question, qui reçoit la même réponse, évidemment.
- Il faut qu'on parle de politique, d'avenir du Népal, poursuit-il, passablement excité!...
Dans la chambre, alors que j'ai vaguement entendu comme une conversation qui sonne bizarrement, Caroline vient me chercher.
- Y'a deux types qui viennent d'arriver. Ils veulent discuter de politique, j'sais pas trop... m'annonce-t-elle, troublée.
Sortant de ma cachette, je suis bientôt en face de ces deux jeunes hommes. Aussitôt, toujours sur le même ton, le 'chef' expose sa volonté de parler politique avec nous, "je veux savoir ce que des touristes pensent de la situation actuelle au Népal" reprend-t-il en me faisant signe de m'assoir sur la dernière chaise libre du couloir. Les yeux exorbités, il me fixe, comme sous l'emprise d'une drogue...
D'emblée, ses attitudes et son diktat ne nous plaisent guère. Nous ne sommes certes pas chez nous, mais un minimum de bonnes manières ne nous paraissent pas superflues. Je remets sans plus tarder les pendules à l'heure :
- Hé, mais t'es qui toi pour nous parler comme ça? Tu débarques ici sans dire bonjour, sans te présenter, et tu voudrais nous faire subir un interrogatoire?? Pour parler de politique avec un inconnu?... J'm'excuse, mais je ne parle pas de n'importe quoi avec quelqu'un que je ne connais pas!
- Je voudrais savoir votre opinion et votre vision sur la politique du Népal, martèle-t-il comme une idée fixe.

Intraitable, Patrick se positionne d'emblée : " Moi je ne parle pas politique avec n'importe qui, je ne veux pas parler de politique avec toi!", et se ferme comme une huitre. Il ne reviendra pas sur ses propos. Caroline ne sent vraiment pas le coup, et se dérobe pas une boutade : "La politique? C'est une chose trop compliquée pour les femmes!", s'excuse-t-elle en rejoignant Patrick dans son mutisme.
- Mais j'ai des sujets pour les femmes! ne manque-t-il pas d'air. On en parlera tout à l'heure.

S'adressant au dernier qui reste -il n'ya plus que moi-, il insiste.
-
Tu penses quoi des maoïstes, de ce qu'on dit d'eux...
- Je m'excuse encore, mais tu es qui toi? T'es maoïste peut-être? le questionnai-je, ayant deviné à qui nous avons à faire.
- Oui! affirme-t-il en dégainant le révolver qu'il portait caché à la ceinture, sans toutefois nous menacer.
Avant que le temps ne tourne à l'orage (nous vérifierons par la suite que son révolver est chargé!!), nullement effrayé par la scène que nous vivons, je l'interpelle:
- Hé tu m'excuses, mais j'n'ai pas l'habitude de discuter avec une personne armée. Alors si tu veux parler, OK, mais tu ranges ton arme!
Et pour lui montrer que cette tentative d'intimidation ne m'impressionne pas, je lui demande, feignant de connaître les armes de poing:
- C'est quoi ça comme révolver?
Et me le présentant en main (c'est moi qui suit donc armé maintenant!), il répond :
- Ca, ce sont des modèles de notre fabrication. Nous, les maoïstes, n'avons pas d'argent pour acheter des armes à l'étranger. Tu vois là, me dit-il en me montrant un poinçon, c'est mon numéro.

Son petit numéro achevé, je lui redonne le revolver qu'il remet à la ceinture. Il me relance:
- Je voudrais votre opinion sur la crise actuelle du Népal, sur la situation concernant plus de 20 millions de personnes exploitées par une poignée de capitalistes corrompus qui sont au pouvoir. Parce que telle est la situation ici. Le gouvernement actuel n'est composé que de businemen richissimes. Ils volent l'argent du pays pour l'envoyer à l'étranger. Ce sont eux qui exploitent politiquement, socialement la population! Ils enlèvent même des femmes népalaises pour en faire des prostitiés dans les pays du Golfe, s'exclame-t-il, emporté par sa fougue. Nous les maoïstes, nous ne voulons plus de cette monarchie corrompue. Nous voulons que les népalais retrouvent leur dignité S'il y avait des élections non truquées, poursuit-il, la 'Nouvelle Démocratie' que les maoïstes veulent mettre en place remporterait au moins 80% des suffrages!
Mais, poursuit-il, le gouvernement et ses sbires ne veulent pas que le peuple décide de son avenir. C'est pour cela que la police et l'armée massacre les maoïstes. Non seulement ceux qui mènent la lutte avec les armes, mais aussi les sympathisants de notre cause. Comme par exemple au village de Thulosirubari il y a quelques jours, continue-t-il, inarrétable, la police a tué 6 personnes qui n'étaient que des supporters des maoïstes. Le gouvernement et sa presse capitaliste donnent une mauvaise image de nous, nous qualifie de 'terroristes', on ne peut accepter cela! s'emporte-t-il.
Il est lancé, tous les clichés du discours révolutionnaire sont présents. Je le coupe enfin, lui donnant la réplique :
- Tu veux dire que les maoïstes sont des anges? C'est quoi cet attentat sur un marché de Kathmandou la semaine dernière? Il y a eu une vendeuse de légumes tuée par une bombe maoïste, non??
- Nous le regrettons, répond-t-il comme un communiqué officiel. C'est déplorable mais notre lutte n'est pas sans risque. Cette pauvre personne n'était évidemment pas visée, mais comme nous l'avons annoncé, "toutes les cibles gouvernementales peuvent être touchées à tout moment". Cette personne n'avait qu'à pas se trouver là!!
Je suis atterré par ce cynisme qui fait visiblement peu cas du pauvre peuple qu'il dit représenter. Connaissant trop peu le maoïsme népalais, je l'entraîne alors sur un terrain plus délicat.
- Tu te dis maoïste, tu soutiens donc par exemple le bilan des 4 années de l'expérimentation maoïste extrême de Pol Pot au Cambodge? C'est ça que vous voulez recopier au Népal? l'attaquai-je. Plus de 2 millions de personnes (sur 7) massacrées par les khmers en 4 ans, c'est ça ton idéal? Et Mao en Chine: tu veux qu'on parle des millions de morts pendant la révolution culturelle? Des famines organisées par Mao pour concerver son trône?? Ce sont des exemples pour toi, ça??
- Au Cambodge, il y a eu des fautes de commises.
- T'appelles ça des fautes, toi, le génocide khmer? le coupai-je excédé.
- On peut dire que la politique de Pol Pot a été bonne à 30%.
Bien que révoltants, je le laisse poursuivre ces propos afin de mieux savoir qui sont ces nouveaux terroristes qui rêvent du Grand Soir pour le Népal .
- Mao a fait également des erreurs, continue-t-il. Mais il a réussi à 70%. [c'est fou ce besoin de chiffrer les choses! A propos, ce pourcentage est celui annoncé par le PC chinois, après la critique du maoïsme en Chine...]. Mais nous, nous sommes marxistes, clame-t-il. Dans 'Le Capital', Marx... bla bla bla et bla bla bla...
Voila qu'il me fait maintenant un cours de socialisme! Difficilement, je l'arrête.
- Tu m'excuses, mais si tu es venu ici pour me réciter Le Capital, ça ne m'intéresse pas, je préfère le relire! Repositionnant la discution que je préfère faire basculer en interview, je le place alors sur un plan plus personnel. Je poursuis: "C'est pour moi la première fois que je rencontre un maoïste, ce qui m'intéresse moi, c'est de savoir qui tu es, comment tu es devenu maoïste, pourquoi? Comment tu te positionnes dans ce combat armée contre les forces de ton pays... "

Comme le soleil commence à baisser dans le couloir où nous sommes depuis maintenant une demie heure, je lui propose alors de nous déplacer à l'extérieur pour profiter des derniers rayons. Ce qu'il accepte. A ce moment, je sens que la conversation tourne, c'est moi qui mène la danse. Je viens de comprendre qu'il est venu se faire interviewer, je vais donc jouer -c'est mon heure de gloire!!...- au journaliste!
Arrivé excité, il est maintenant plus calme, sa voix plus posée est un indice qui ne trompe pas.

Lui tendant la main qu'il me serre, je me présente: "Au fait, je m'appelle Yannick! Et toi?"
- Mon nom est Raaju.
Et je poursuis ainsi le jeu des questions-réponses, fort intéressant.
A 26 ans, ce jeune homme intelligent parle un excellent anglais. Diplomé d'un Master en Economie à l'Université de Kathmandou, c'est là qu'il a aiguisé son sens politique. Il continue : "72% des népalais vivent en dessous du seuil de pauvreté [ce sont ses chiffres] . Je me suis dit que je ne pouvais accepter cela. J'ai beaucoup étudié, analysé les choses, et j'ai compris que le maoïsme avait les solutions". [comme au Cambodge...]. C'est ainsi qu'il épouse la cause maoïste voici 3 ans. Brillant, il se fait vite remarquer, grimpe les échelons et devient le Chef politique du secteur. Depuis, il vit dans la clandestinité, traqué jour et nuit par l'armée et la police, ses ennemis jurés. Armé 24h/24, sa vie est entièrement vouée à sa cause.
- Et tu es marié?
- Ben oui! répond-t-il comme si cela était une évidence. Vous avez mangé chez moi l'autre jour! poursuit-il, étonné par ma question.
Caroline et Patrick tendent l'oreille.
Portrait de l'interviewé- Chez toi!? m'exclamai-je, en revisitant les derniers jours... T'es le mari de Sousmita? m'étonnai-je, tombant des nues!!
- Oui, c'est cela.
Nous n'en revenons pas. Le maoïste assis en face de moi n'est donc autre que le frère cadet de celui par qui nous sommes venus ici, le fameux Gokarna! En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, il me semble commencer à comprendre certaines choses... Mais je laisse l'histoire de Gokarna en dehors de cela, j'ai un autre chat à fouetter!
- Mais ça n'est pas trop dur de vivre une telle vie, quand on laisse à la maison une toute jeune femme et un bébé?
- Ma cause est belle! s'honore-t-il. Avant, je travaillais pour ma famille, maintenant, je le fais pour 20 millions de personnes! déclare-t-il, prétentieusement, dans une formule qui sent la phrase toute faite.
- Et ta femme, elle en dit quoi?
- Bien sûr, elle aimerait mieux que l'on vive ensemble, mais c'est impossible! Je ne reste jamais au même endroit deux jours de suite. Je passe la voir, elle et ma fille, de temps en temps, je ne peux pas prévoir. Je disparais parfois 3 jours, parfois 3 semaines, d'autres fois 3 mois. C'est ma vie qui veux ça!
- Mais c'est une vie de film que tu vis! m'exclamai-je, un peu pour le flatter cet homme qui joue un peu le héros qui rêve de devenir un jour un cadre du nouveau pouvoir.
- Un peu, ça n'est pas la routine, c'est cela qui est excitant! avoue-t-il...
Aveuglé par la doctrine sectaire, il semble jouer sa vie comme dans un jeu vidéo, un peu comme un ado attardé passant sa vie dans les univers factices des jeux de rôles. La différence, et elle est de taille, c'est que nous sommes ici dans la réalité, et que les armes sont réelles!...


- Maintenant, j'aimerais que me parle de ton activité. Combien êtes-vous de maoïstes? Quel est ton rôle?
- Les chiffres sont secrets, moi même je ne les connais pas exactement. Mais nous sommes très nombreux! s'empresse-t-il de rajouter...
Et voici maintenant qu'il avance un chiffre : " Dans l'armée, peut-être 50000 combattants. [ce sont ses chiffres]. Et puis il y a les politiques, les membres du parti, et le gouvernement [maoïste].à la tête duquel se tient Baburam Bhatri. Pour ma part, je suis un politique. Je suis sur le terrain pour parler au gens de notre mouvement, leur montrer que la voie du socialisme est la seule issue. "
- Et comment opères-tu concrètement?
- Je vais voir les gens, les pauvres. Je les mets face à la réalité et je leur pose la question suivante: "Pourquoi ce gouvernement accepte-t-il cet état de fait? Que fait-il pour les pauvres?". Rien! C'est pour cela que nous devons changer les choses! Le socialisme seul peut nous sortir de là, par une utilisation et un partage des ressources entre TOUS! Anéantir la corruption...
- OK, tu peux parler comme cela à une personne ayant un sens politique, aux personnes lettrées... Mais comment approches-tu les paysans les plus pauvres par exemple, les analphabètes?
Et il me détaille son programme de propagande qui n'a rien à envier aux sectes que nous avons notamment vues à l'oeuvre en Thaïlande.
- On va les voir dans les champs, on les aide, on leur donne de la nourriture, on leur parle d'éducation pour leurs enfants, on leur permet de trouver du travail parfois... Ils nous comprennent et ils savent que nous sommes là pour les aider. Ils ne comprennent pas pourquoi le gouvernement essaye de nous tuer. Mon travail consiste à dialoguer avec les personnes de mon secteur, leur ouvrir les yeux...

[Il ne fait ici aucune allusion aux rapts perpétrés par les maoïstes, de jeunes gens coupables de n'avoir déjà rejoint leurs rangs, d'enfants- filles et garçons- , enrolés de force dans l'armée maoïste et "éduqués à la pensée marxiste" . Nous entendrons beaucoup d'histoires à ce sujet, notamment dans le région de Jiri où plusieurs témoignages font état d'adolescents armés qui sortent de temps en temps de la jungle et défilent avec l'armée clandestine maoïste qui terrorise la région. D'autres jeunes garçons rencontrés pendant notre séjour à Kathmandou ou Pokhara nous confessent leur crainte de retourner dans leur village contrôlé par les maoïstes. S'ils rentrent, nous disent-ils, ils savent que le risque d'être capturés est grand. S'ils ne les rejoignent pas, ils sont déjà des traitres!]

J'enchaine : "Mais tu vis de quoi?"
- De rien! Je n'ai pas de revenus, mais partout les gens nous aident, nous offrent à manger, un hébergement pour la nuit... C'est suffisant! affirme-t-il fièrement.

[Notre expérience nous fait entendre un tout autre son de cloches. Nous avons le témoignage de plusieurs villageois terrorisés, qui, le fusil pointé sur eux ont été contraints d'offrir gîte et couvert. "Ils sont parfois plus de 300, -600 nous diront d'autres personnes- et envahissent le village. Ils entrent chez les gens et se font nourrir, sans payer!", confesse notamment cette femme sherpa de Bandhar dans la région de Solokhumbu. "Tout le monde en a peur, on ne peut pas refuser, nous dit-elle, sinon tatatata!" termine-t-elle en mimant une mitraillette.]

- Et la lutte armée?
- Nous ne sommes pas gouvernés par les armes, nous les utilisons, pas le contraire! Nous pensons que nos balles atteignent la bonne cible. [encore une phrase apprise par coeur!]. Nous ne nous attaquons qu'à nos ennemis: l'armée, la police, le gouvernement et les capitalistes qui exploitent le peuple. En ce qui concerne les personnes très riches, nous distinguons deux catégories. La première, celle qui vole notre pays et place tout cet argent à l'étranger, il n'y a aucune discussion possible avec elle: nous devons l'éliminer! Quand au second groupe de capitalistes qui font certaines choses mauvaises, nous entrons en contact avec eux et essayons de faire en sorte qu'ils se corrigent. S'ils recommencent, ils doivent mourir! expose-t-il, sans aucun état d'âme. [les méthodes expéditives si chères à Pol Pot ont fait école...]
- Mais de quoi vivrez-vous si vous tuez toute forme d'économie capitaliste? insistai-je. Que deviendraient tous les petits commerçants, qui sont loin d'être riches ?...
- Nous mettrons en place une reforme agraire pour que tout le monde puisse vivre de son travail [Encore le programme de Pol Pot!...]. Nous voulons abolir toute forme de capitalisme. Dans un premier temps, nous donnerons une terre à chacun pour qu'ils puissent l'exploiter, nous aiderons les gens, les formerons...
- Vous abolierez la monnaie? [comme au Cambodge?]
- Oui!
- Mais un pays ne peut pas vivre refermé sur lui-même! m'insurgeai-je. On a vu l'expérience désastreuse du Cambodge! martelai-je encore une fois.
- Mais nous ne sommes en guerre contre aucun pays étranger, déclare-t-il. Seulement contre notre gouvernement. Nous voulons seulement que les autres pays nous respectent, et arrêtent, comme les Etats Unis et la Belgique par exemple, de vendre des armes au gouvernement, armes qui servent à nous tuer!
- A moins de revenir au moyen-âge, vous avez besoin d'argent pour acheter toutes les choses que vous ne fabriquez pas au Népal, d'autant plus si tout le pays retourne aux champs!! insistai-je.
- Mais le Népal est un pays riche! s'exclame-t-il, si le gouvernement ne le volait pas!
Et d'ajouter cet exemple édifiant : "Rien qu'en vendant le sable des rivières, on deviendra riche!" [Rappelons qu'il est diplômé d'Economie quand même!!]

Après cette ineptie, je change de sujet .
- Mais pourquoi cette guérilla, si le soutien de la population est si fort? Le Népal est un pays démocratique, non?...
- Ha, ha, sourit-il! Corrompu jusqu'à la racine oui! Nous ne croyions pas aux élections car, à la botte du gouvernement, il y a l'armée, la police et l'administration pour truquer les résultats. Plus de 80% de la population nous soutien! Mais la monarchie ne s'avouera jamais vaincue! Elle a trop à perdre! Aussi, nous arriverons au pouvoir par la force, pour que la voie du peuple se fasse entendre!
- Et après?... Remettrez-vous en place un système démocratique?
- Nous garderons un système socialiste, avec un type d'élection différent [choix dans un parti unique, par exemple?...] . Nous ne sommes pas pour une liberté totale, mais une liberté contrôlée, au service du peuple [ça a au moins le mérite d'être clair!]. Nous ne permettrons par exemple pas à nos opposants corrompus de reprendre le pouvoir pour voir se reproduire la situation de misère actuelle. Le peuple que nous représentons doit garder le contrôle des choses. Ce que nous voulons avant tout, c'est l'égalité de tous. Plus de riches, plus de pauvres: tout le monde au même niveau! Le droit doit triompher de l'injustice!

Revenant maintenant à quelque chose de plus concret qui nous intéresse en premier chef, je l'interroge encore:

- Et ce projet NAMASTE, tu en penses quoi en tant que maoïste?...
- Ha! soupire-t-il. Ça, c'est un poison lent pour les vrais socialistes que nous sommes. Ce projet, c'est le début de la société de classe! Dans le village, il y a 600 enfants qui ne peuvent aller à l'école. Ici, montre-t-il avec sa main, on voudrait faire vivre 40 enfants comme dans un château?!! Ça veut dire quoi ça??
Un bon projet, c'est un projet qui aide tout le monde, ou alors il ne faut aider personne!

Fermez le ban! Nous y voyons ENFIN plus clair après une semaine de questions et de suppositions quant à ce projet bizarre... Les maoïstes qui tiennent le village y sont opposés : il ne verra donc pas le jour tant qu'ils seront aussi puissants, point final! N
ous avons perdu notre temps, quoique, pas tout à fait... Par souci d'honnêteté, il ne nous reste plus qu'à en informer le fondateur hollandais qui, nous l'espérons, ne sera pas trop surpris par nos déclarations. Et si par exemple des fonds de soutien occidentaux, - "Pour venir en aide et scolariser des enfants orphelins d'un village du Népal"!- étaient toujours versés?... Nous craignons de savoir déjà à quoi sert l'argent de l'association NAMASTE...

Il est maintenant 18h30, le maoïste m'interrompt:Graffitis pro-maoistes
"Longue vie au Marxisme
Léninisme Maoïsme 
& à Prachanda Path"
- Excuse-moi, mais je dois écouter les informations radiophoniques. Son accolyte qui est resté muet comme une carpe, son bras droit bien obéisssant, a déjà allumé la radio. Combien annonce-t-on de terroristes rebelles (maoïstes) tués aujourd'hui??...

Alors que nous nous étonnons plus de rien, nous voyons maintenant arriver le responsable du comité NAMASTE, visiblement bien ami avec notre maoïste!! La boucle est bouclée!

Les infos terminée, alors qu'il fait maintenant bien nuit, il interpelle Caroline restée en retrait.
- Je pourrais aussi parler de la situation désastreuse des femmes de ce pays, de leur exploitation par les hommes.
Et il poursuit sur sa lancée :
- Au Népal 85% des femmes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Elles nourrissent les hommes et souffrent elles-même de malnutrition. Elles travaillent 16 à 18 heures par jour, se lèvent les premières et se couchent après tout le monde. Les hommes eux, ne travaillent que 8 à 10 heures par jour pour vous donner une idée... Elles n'ont pas de propriété en leur nom: tout appartient aux hommes qui peuvent vendre, acheter, faire ce qu'ils veulent sans leur consentement. Et je ne parle même pas de la violence conjugale dont 80% des femmes sont victimes!
[De notre côté, nous savons combien la situation des femmes népalaises est catastrophique. C'est un problème majeur dans ce pays, les maoïstes en sont conscients. Et malheureusement, ce que nous entendons ici ce soir n'est sûrement pas loin d'être la vérité objective.].
Il termine:
- Ici les femmes sont des citoyens de seconde zone, la constitution les traite comme tel. C'est tout cela que nous vous changer, c'est aussi pour cela que nous nous battons! conclue-t-il.
Puis à l'attention de Caroline particulièrement : "Si tu veux en savoir plus, lis mon livre! Ceci était mon sujet de thèse, je connais parfaitement le problème!".
Se levant enfin, il s'excuse de ne pouvoir poursuivre d'avantage cette 'conversation intéressante' -merci!!-, et m'invite à parler de cela autour de moi.
- Ecris aux journaux de ton pays pour leur dire que nous ne sommes pas des terroristes, que nous nous battons pour une cause juste. Il faut que le monde sache qui nous sommes vraiment! Et fais savoir que les touristes sont toujours les bienvenus. Jamais nous ne leur ferons de mal! insiste-t-il.
[Sur le chemin du trek entre Jiri et Lukla où les maoïstes contrôlent la région, nous avons rencontré plusieurs touristes, et entendu de nombreuses histoires relatives au racket dont sont victimes les touristes. De 1000 NRs - 13,5€- à 50 US$ - 51 €- , suivant les personnes , l'obole extorquée sous la menace, pour la cause révolutionnaire, fait même l'objet -dans certains cas!- d'un reçu de la part des maoïstes!! Comme quoi certains sont honnêtes!...)

- Il n'y a donc aucun danger pour les touristes? m'assurai-je en guise de conclusion.
- Absolument aucun! affirme-t-il. Si la situation du pays changeait, nous demanderions aux touristes de ne plus venir au Népal. Pendant un an, peut être deux... Mais pour l'instant, les touristes sont les bienvenus!

En nous quittant, il nous serre la main en nous remerciant de l'avoir écouté, tourne les talons suivi de près par son homme de main, et disparaît. Ainsi se termine notre échange qui a duré près de 2 heures. Le cahier pleins de notes, il ne me reste plus qu'à remettre tout cela en forme. Autour de nous, le petit groupe venu assisté à l'interview se dissipe peu à peu : le 'spectacle' est terminé.

Avec Patrick et Caroline, nous nous regardons, abasourdis par les propos que nous venons d'entendre. Si le Népal n'a pas encore basculé dans la folie exterminatrice, nous savons que la sanglante histoire cambodgienne peut ici revoir le jour. Nous avons encore bien en tête notre récent séjour dans ce pays et connaissons un peu l'histoire de ce pays. Les mêmes fous illuminés, imposant leur idées par l'intimidation, la terreur et le crime sont en marche, nous venons d'en rencontrer un.
Rien qu'à l'idée que ce pays qui nous enchante puisse tomber aux mains de ces terroristes, nous en avons les larmes aux yeux. Des images fortes comme le camp de torture S21 de Phnom Penh nous reviennent en mémoire. "Plus jamais ça!" a-t-on là-bas aussi écrit.
On se demande si l'Histoire apprend vraiment quelque chose aux hommes...
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