Partie de pêche avec Clara

- Vous voulez manger du poisson, ce soir ?
- …
- OK, je vais à la pêche, la marée est bonne ! prévient Clara qui part déjà les cannes en main…
- Hé ! Clara, j'peux v'nir avec toi ? lui proposai-je, excité à l'idée d'une partie de pêche pascuane...
- Si tu veux ? s'exclame-t-elle vingt mètres devant moi !
D'un pas décidé, je rejoins Clara qui scrute déjà l'océan qui fait face à leur habitation.
- Là, c'est pas bon pour aujourd'hui ! m'explique-t-elle en experte. On va aller sur le rocher là-bas! me propose-t-elle en pointant le doigt.
Toujours au pas de course, sautant comme un cabri, Clara prépare déjà son premier lancer tandis que j'éprouve quelques difficultés à la rejoindre… Debout sur une pointe rocheuse à peine plus large que ses chaussures, Clara commence la partie de pêche.
Vingt mètres plus bas, les vagues explosent sur des rochers noirs aux formes étranges. Bloqué par le vertige devant cette corniche, je tente de me raisonner… et … à quatre pattes, je la rejoins, glorieux de l'exploit que je viens d'accomplir... Sur son rocher, Clara continue de jouer les funambules et me donne la chair de poule. Devinant mon état d'esprit, pour me rassurer, elle précise avec le sourire :
- Il y a un mois, je suis tombée à l'eau ! J'avais des bleus partout mais ça a été ! Tiens, poursuit-elle, prend une ligne dans le seau !
- T'as un couteau pour les morceaux de poulet sur l'hameçon ? interrogeai-je.
- Fais comme moi! Avec tes dents ! me répond-elle en croquant à pleines dents une cuisse de poulet tout cru ! … On fait comme ça ici, ajoute-t-elle, sûre de son effet… mais il y a un couteau dans le seau, si tu préfères ! éclate-t-elle de rire!!
Sauvé par la lame, je m'essaye avec succès au lancer sans canne, faisant tournoyer au dessus de ma tête comme un lasso, le morceau de poulet piqué sur l'hameçon.. Dans l'eau transparente brassée par les vagues, le poulet joue son rôle d'appât puisqu'une heure plus tard, nous en somme à 3-2 en faveur de l'équipe locale !
- C'est bon ! lance Clara, on a 5 pissis : ça fait un chacun, on rentre ! ajoute-t-elle avec un ton qui n'autorise aucune remarque...
Pour le pêcheur amateur qui ne compte plus les retours 'bredouille', c'est la pêche miraculeuse ! Avec mes deux pissis de 30 cm (chacun, oui, oui !), je viens de doubler mes prises par rapport à l'année dernière!…
Toujours courant, Clara nettoie déjà les poissons dans la crique voisine. Pour les Pascuans en effet, une croyance veut que le nettoyage du poisson mort ne se fasse pas dans l'anse où il a été pêché.
- Et pourquoi Clara, on ne peut pas laver son poisson ici?
- Parce que c'est comme ça ! ... Autrement après, je ne pêcherai plus rien ici, ajoute Clara qui se veut la plus claire possible.
Écaillant sommairement le poisson, elle incise bientôt très légèrement l'abdomen et retire avec un doigt les viscères du poisson qu'elle rince aussitôt à l'eau de mer. Pinçant maintenant le foie entre deux doigts et le croque tout cru devant mes yeux étonnés.
- T'en veux ? me demande-t-elle.
- Non, j'te remercie…
- C'est très bon pour le corps, pourtant, tente-t-elle de me convaincre, en se léchant les doigts maculés de sang.
Baignée dans la culture pascuane, Clara ne fait ici qu'honorer la coutume locale. Plus surprenante est en revanche l'opération suivante qui consiste à vider estomac et intestins en les faisant glisser entre deux doigts serrés. Devançant ma question, elle joute : ' Tu vois, on garde tout ; C'est un régal, ça !' dit-elle en me tendant ces viscères qu'elle rince à l'eau de mer. 'Ici, on mange tout' poursuit-elle.
" J'ai déjà vu des Chiliens qui jetaient l'intérieur des poissons dans la mer. S'ils font ça, c'est fini pour eux : je leur interdis de repêcher !' affirme-t-elle menaçante, brandissant le doigt en signe de menace. Celui qui rejette ça, il ne respecte pas ce que la mer lui donne, il ne mérite pas de pêcher !" conclut-elle sur un ton qui n'admet pas d réplique…
- Tu viens, on rejoint les autres ? termine Clara en remontant déjà vers la maison...