Reprenant nos esprits, après un copieux déjeuner
en compagnie de la joyeuse équipe qui joue déjà du marteau,
nous partons sans nos sacs vers le glacier qui n'est plus qu'à quelques
encâblées de notre bivouac. Légers comme ces plumes, nous
alternons marches et (minuscules) escalades sur les pics qui nous conduisent
en près de 3 heures a pied du glacier. Fascinant bloc de glace bleuté
de 25 kms de long sur 4 de large, le glacier Grey s'est formé voici plusieurs
millions d'années, à l'ère glaciaire. Depuis, le réchauffement
de la planète aidant, il ne cesse de se laisser fondre, lâchant
des icebergs de plusieurs milliers de tonnes dans un vacarme infernal. Véritables
coups de tonnerre résonnant dans tout le glacier, nous assisterons au
décrochage de quelques 'glaçons' de plusieurs dizaines de mètres
cubes déjà forts impressionnants.
Fascinés par cette exceptionnelle curiosité naturelle, c'est l'arrivée
du mauvais temps qui nous décide finalement à regagner notre campement.
La neige couvre déjà nos tentes comme nous arrivons, accompagnés
des coups de marteaux de la joyeuse équipe.
- On va vous faire une petite place en rangeant un peu nos affaires, nous annonce
Aristide. Vous prenez un thé?
- Avec plaisir! Et pour payer notre nuit, on va vous donner un coup de main
si vous voulez!
Et c'est ainsi que pendant près
de 2 heures, je me retrouve à couper des planches puis à faire
de l'isolation! Caroline, elle, a la charge de la cuisine et sous les ordres
d'Aristide, nous fait des galettes de pain dont nous garderons la recette. Un
véritable régal!
Aménageant un espace au sol pour nos matelas, barricadant les ouvertures
encore béantes par lesquelles le vent et la neige s'engouffrent, nous
nous allongeons près d'un poële brûlant pour une nuit sans
puma...
sans puma, certes, mais avec les souris! Ainsi, des dizaines de souris vont-elle
courir de toutes parts dans ce nouvel abri qu'elles n'ont pas mis beaucoup de
temps à découvrir. Passant sur nos sacs de couchage, grignotant
de toutes parts, depuis la nourriture pourtant bouclée dans nos sacs
à dos jusqu'aux branches plastiques des lunettes que Caroline a imprudemment
laissées sur un banc...
De toute la nuit, elles ne nous laisseront aucun répit! Et même
si nous nous réveillons tous avec la fâcheuse impression d'être
peu reposés, au moins n'avons-nous pas - du moins pour moi!- le sentiment
d'être passés proches d'une fin certaine... Au matin pourtant,
l'heure est grave. C'est avec tristesse et compassion pour les familles des
victimes que nous retrouvons 2 cadavres de souris, noyées dans le seau
d'eau que nous utilisons pour la cuisine!!! Mais il en reste encore quelques
dizaines...
Pendant la nuit, la situation météo ne s'est pas améliorée:
une vingtaine de nouveaux cms de neige sont retombés et il ne fait guère
plus de 0°C quand nous quittons Aristide et ses joyeux drilles.
- Bon voyage... et attention aux pumas! nous lance-t-il, hilare, en guise d'adieu...
De cette sympathique rencontre, nous emportons une tonne de souvenirs mais également
une commande de matériel et de nourriture à livrer dès
que le temps le permettra. C'est bien le moins que nous puissions faire pour
eux!
De
retour vers le lago Pehoe où nous étions il y a deux jours, la
situation du chemin s'est sérieusement dégradée. Il neige
maintenant fortement et la visibilité est réduite à une
trentaine de mètres... Au sol, la neige atteint parfois plus d'un mètre,
régulièrement près de 50 cms! Comme si cela ne suffisait
pas, le vent souffle maintenant très fortement, nous déséquilibrant
même dans les endroits les plus exposés.
Bien
qu'ayant fait le chemin dans l'autre sens, nous avons du mal à tracer
notre route et nous nous perdrons une nouvelle fois pendant près d'une
heure. Un kilo de glace collé sur le bas du pantalon et des chaussettes,
nous avançons péniblement mais sûrement dans cette tempête.
Finalement, après 5 heures de marche exténuante, nous retrouvons
Manuel et le refuge Pehoe. Après quelques négociations, nous parvenons
à obtenir l'autorisation de dormir à l'intérieur du refuge,
au prix du camping... Dehors la tempête redouble, on ne se voyait vraiment
pas dormir ce soir dans la tente!...
Dans la journée, est arrivé un couple de Néo-zélandais
avec lequel nous sympathisons et passons à 5 une soirée bien agréable.