Tandis
que nous entrons à l'administration pour faire enregistrer notre projet
de randonnée -obligatoire pour des raisons évidentes de sécurité-
nous retrouvons Gary, un Irlandais rencontré à Ushuaïa.
- C'est pas la peine! entame-t-il. Tout est fermé, il y a trop de neige!
nous annonce-t-il déçu..
- Fermé?! On vient de passer la journée avec un guide du parc
et ce n'est pas ce qu'il nous a dit!
- Je sors de l'administration et c'est ce qu'ils m'ont dit!
- Bon ben, on va bien voir ... terminons-nous, perplexes.
Un quart d'heure plus tard, le sourire aux lèvres nous ressortons avec
l'autorisation que nous étions venus chercher.
- Vous avez fait comment? nous interroge Gary, écuré.
- On leur a dit ce qu'on voulait faire, tout simplement. La seule chose, c'est
qu'ils ne veulent pas laisser un trekker seul se balader dans ces conditions.
L'été, il ya des centaines de randonneurs sur les sentiers. Aujourd'hui,
s'il y a 5 personnes dans le parc, c'est bien tout.
- Fucking bastards! (Putain de salauds!). Ils m'ont dit que c'était fermé!
Les.... ! jure-t-il dans un irlandais de pub dont ils ont le secret.
- Vient avec nous, si tu veux. On part pour une semaine. On va au refuge, si
ça te dit, tu sais où on est!
D'un pas lent, dans 20 cms de neige glacée, nous rejoignons une baraque
de bois à quelques centaines de mètres des bureaux. 'Il n'y a
pas d'eau mais l'électricité et de quoi faire du feu', nous a-t-on
indiqué. 'Tout ce qu'il nous faut pour une première nuit dans
le confort' a-t-on répondu, la tête déjà partie dans
une aventure australe hors du commun...
Alors que nous peinons quelque peu à ouvrir la porte du refuge vide de
toute vie, une silhouette se rapproche dans la clarté d'une nuit de pleine
lune.
- Hello guys!
- Salut Gary! Tu viens avec nous?
En entrant dans ce refuge vide, nous nous organisons très rapidement.
Le feu crépite bientôt dans le poêle où fondent deux
casseroles de neige tandis que nous profitons de la douce chaleur qui emplit
l'étage inférieur. Quand le dîner est prêt, c'est
un autre bonheur simple que nous apprécions avec tout autant de plaisir.
Et même si la variété des menus de bivouac laisse à
désirer, ces repas pris au fin fond du bout du monde prennent une autre
saveur. Une soupe préparée, une purée au jambon peuvent
ainsi devenir de vrais repas de gourmets. Et quand on peut y ajouter un morceau
de fromage, c'est alors 2 étoiles de guide Michelin qui tombent du ciel...
Dans la perspective d'efforts physiques très prochains, nous regagnons
vers 20h l'étage supérieur où des matelas sont posés
à même le sol. Il fait à peine 10° mais le sommeil ne
tarde pas à nous emporter vers des rêves d'aventures du bout du
monde...
A
37 ans, Gary est un routard-moniteur de plongée. L'Irlande, il l'a quittée
seul voilà 5 ans alors qu'ils devaient partir à deux... Depuis
il traîne son sac en Amérique. Centrale tout d'abord où
il a beaucoup travaillé avant de reprendre la route, 'jusqu'à
ce que je n'ai plus d'argent'. ' Là, il va falloir que je m'arrête
dans peu de temps, mes caisses sont vides!'. Naviguant au gré des vents,
des rencontres, Gary est un vrai voyageur. ' Quand un coin me plaît, je
m'arrête, c'est tout!'ajoute-t-il. Là où nous ne faisons
que passer en coup de vent, Gary se poses, prend le temps. Sans plan précis,
il erre, un peu à la recherche de quelque chose qu'il n'a pas encore
trouvé. ' Vivre en Irlande? Non, je ne pourrais plus, nous avoue-t-il,
mélancolique'.
Son plan, c'est trouver un Eldorado où poser son sac et ses bouteilles
de plongée. Trouver une compagne pour partager son rêve et qui
sait, transmettre sa passion de la plongée et du voyage à une
cohorte de petits Gary ... Un rêve de vie tout banal en somme, que l'aventure
du voyage toujours renouvelé n'a pu lui apporter.
Même si les innombrables rencontres de voyage demeurent des souvenirs
inoubliables, tous ces amis d'une heure, d'une journée ou d'un mois deviennent
trop souvent des souvenirs que la réalité du voyage éloigne
trop rapidement. En Gary, nous retrouvons un peu de notre existence, même
si des années de route nous séparent. Il y a de ces rencontres
de personnes qu'on aimerait vraiment garder comme amis. Des personnes qu'on
aime retrouver, qu'on ne dérange jamais. Des 8 jours que nous allons
partager 24h/24 ensemble, nous ne garderons que de bons souvenirs, et surtout
de franches parties de rigolade, mâtinés d'un humour de pub très
irlandais... De tout ça, il ne restera qu'un e-mail et des photos. Quoique...
Qui sait, un jour peut-être le retrouverons-nous sur une île de
rêve où il aura plantée son école de plongée?
Qui sait.... Mais on dit toujours ça...