En ce début
d'après-midi du 8 novembre, nous sommes donc sur l'autoroute qui mène
à Oaxaca, le pouce tendu. Après une heure d'attente, un camion
s'arrête. Derrière la cabine, un plateau en bois en forme de U,
recouvert d'une bâche mal ajustée. En guise de battants arrières,
une autre bâche couvre la moitié de la surface, l'autre partie
étant seulement entravée par une corde tendue, formant un 'X' en travers du trou béant!
Dans l'ombre de cette ouverture, des têtes de personnes semblent se dessiner...
Descendu de
sa cabine, Cristobal, la quarantaine, s'avance vers nous:
- Nous sommes de pèlerins en route vers les montagnes de Oaxaca. Nous
n'avons pas beaucoup de place mais si vous voulez voyager à l'arrière,
avec les femmes et les enfants, on peut vous amener jusqu'à Oaxaca!
En un clin d' oeil, notre décision est prise. Ca nous convient parfaitement!
Après un arrêt d'un bon quart d'heure où tout le monde se dégourdit les jambes, nous embarquons à l'arrière du camion.
28 femmes et
enfants sont assis ou couchés, à même les planches de bois
ajourées, laissant paraître la route! Après quelques hésitations,
nous trouvons une place pour nos sacs et nous asseyons dessus. Le tableau est
saisissant.
- On se croirait dans un wagon de réfugiés albanais, glisse Caroline.
Avec nous ,
cela fait une trentaine de personnes sur près de 20 m2! Le confort est
spartiate mais l'expérience est grandiose!!
Rapidement, nous apprenons qu'ils sont en route pour un pèlerinage à
la Virgen de Juquila (la Vierge Miraculeuse), petit village perdu dans les montagnes
de Oaxaca, où la vierge est apparue à plusieurs reprises.
Originaires
de San Miguel Xaltepec près de Puebla,ce pèlerinage de 4 jours
(dont 2 jours de route!), se renouvelle tous les ans à pareille époque.
- Et vous êtes beaucoup de votre village à effectuer le pèlerinage?
- Oh oui! Nous sommes près de 400! Il y a plusieurs camions et d'autres
viennent en vélo.
- En vélo?
- Oui! En fait, le vrai pèlerinage se fait en vélo à partir
de notre village. Cette année, 160 cyclistes parcourent les 600 kms qui
nous séparent de la Vierge.
Nous sommes soufflés!
- Et vous, vous allez en camion..
- C'est parce que leurs péchés sont plus grands que les nôtres!,
nous répond-il, plein d'humour. Non, en réalité, nous sommes
là pour l'intendance et les feux d'artifices
- Les feux d'artifices??
- Oui, il y a des artificiers professionnels dans notre village. Et depuis 11
ans que nous faisons le pèlerinage, nous marquons notre passage en offrant
un feu d'artifice à la Vierge.
Depuis le Canada, nous
n'avions voyagé qu'en bus, où nous n'avions fait aucune rencontre.
Aujourd'hui, à peine recommence-t-on le stop, que nous voilà dans
une histoire extraordinaire! Nous avons peine à y croire.
- Tu crois qu'ils nous accepteraient avec eux au pèlerinage?
Nous profitons
d'une pause-pipi pour aborder le sujet avec Cristobal, qui semble être
le meneur.
- Pas de problème, nous dit-il, un peu surpris de l'intérêt
que nous portons à leur voyage. Vous serez probablement les seuls touristes
et les conditions de vie seront simples, dit-il en s'excusant presque.- -Ne
vous inquiétez pas pour nous! Et si ça ne vous dérange
pas, on vous accompagne!
Alors que 2 autres camions, -le premier rempli de feux d'artifice, une bombe, quoi!-et le second des hommes du village-artificiers, nous ont rejoint, la nouvelle se répand très vite.
Originaires d'un village rural très pauvre, peu éduqués, ils hésitent tout d'abord à nous adresser la parole. Cristobal, le docteur du village, sert de médiateur dans les premiers temps.
Visiblement flattés (!!) de notre présence, ils prennent soin de nous, s'inquiètent de notre confort, nous offrent des fruits... Déjà nous sommes les chouchous de la troupe!
Après 5 heures de route (pour environ 250 kms), nous atteignons Oaxaca. Un campement est improvisé près du marché, dans un endroit où poubelles et résidus traînent un peu partout. A quelques mètres, longeant la route, un rio-égout coule péniblement....
C'est dans ce décor champêtre (!!), que nous passons notre première soirée.
Pour le dîner, les femmes s'affairent de tous côtés pour nourrir les hommes et enfants qui attendent... Elles, mangeront après, juste avant la vaisselle... Au menu, tacos (galettes de maïs) cuits à même la braise, haricots et viande de porc épicés comme il se doit ici. En nous voyant grimacer en avalant les premières bouchées, c'est l'hilarité générale!
Après ce repas où nous sommes bien évidemment le centre d'attraction, nous regagnons l'arrière du camion alors transformé en dortoir... Des nattes en végétal tressé nous isolent du plancher en bois fort sale. Après nous avoir prêté une couverture, nous sommes invités à nous allonger comme nous pouvons, parmi les 28 autres pensionnaires de ce drôle de dortoir!! Serrés comme des sardines, pliés en deux car la surface ne permet pas d'allonger ses jambes, nous tentons vaille que vaille de passer un semblant de nuit. La fraîcheur nocturne traverse bientôt les planches ajourées. Des pieds viennent se mêler aux nôtres tandis que quelques unes se mettent à ronfler... A l'extérieur, les hommes dorment sur des nattes à même le sol...
JEUDI 9 NOVEMBRE 2000
Heureusement, l'épreuve n'est que de courte durée. En effet, à 3h du matin, les hurlements de la sirène de voiture de police accompagnatrice mettent fin à cette 'paisible' nuit.
Le départ
des cyclistes qui faisaient étape avec nous est imminent: roulant près
de 15 heures par jour, ils profitent de la fraîcheur de la nuit pour améliorer
leur moyenne horaire, loin d'atteindre des sommets en ce pays montagneux.
Vers 3h30, le camion crache ses premiers échappements nauséabonds. A l'arrière, chacun tente de poursuivre sa nuit tant bien que mal... Imaginez un peu dormir sans aucune possibilité d'allonger ses jambes, sans grande possibilité de se retourner sans déranger son voisin, couché à l'arrière d'un camion sur une natte en guise de matelas, avec le bruit du moteur, les trépidations et les odeurs d'échappement!!!! A ce rythme, Yannick ne tarde pas à tourner de l'oeil, et sentir des sueurs froides l'envahir... Avant qu'une catastrophe ne se produise (ce qui baisserait nettement la sympathie dont nous sommes encore l'objet!!), il se lève et passera plusieurs heures, debout, à l'arrière du véhicule... L'honneur est sauf!
Après 7 heures de route, nous atteignons San Pedro où les femmes commencent à préparer le repas du midi: les hommes ne touchent à rien et attendent à l'ombre, comme en bons machos de Mexicains qu'ils sont!
Le soleil tape vraiment: on est KO!
Après cette pause, le convoi reprend son chemin pour les 3 dernières heures de route. Vers 16h30, nous arrivons à Juquila, sur les rotules mais heureux! Nous avons conscience de participer à quelque chose de peu ordinaire.
Juquila s'avère être en fait, un village très pauvre perdu dans les montagnes de l'état de Oaxaca. Au centre du village, une église assez importante attire l'attention de tous. En son sein, au-dessus de l'autel, trône celle pour qui des milliers de pèlerins se déplacent chaque année: la Vierge de Juquila.
Apparue pour la 1ère fois dans la région il y a 150 ans, elle est vénérée de tous et tout particulièrement par les personnes de conditions très modeste. Elle est en effet leur protectrice et ses nombreux miracles ont tous pour objet l'amélioration des conditions matérielles des petites gens. S'il est une chose sûre, c'est qu'elle a donné une manne inespérée à ce village perdu et sans ressources. Aux abords de l'église, les marchands du temple sont nombreux et vendent toutes sortes de bondieuseries de pacotille avec une marge substantielle.. Quand on vous disait que la vierge fait des miracles!
Aujourd'hui un village est venu lui demander sa grâce et, à l'heure où nous arrivons, la procession s'arrête aux marches de l'église. Des mariachis, ces fameux musiciens on ne peut plus mexicains!, entonnent des chants qui nous font immédiatement tomber sous le charme. A ces costumes impeccables et ces voix aux sonorités sans égal, on comprend que la Virgen de Juquila réponde favorablement...
Du côté de nos amis, le travail a déjà débuté. Le camion contenant les structures du feu d'artifice de demain a été entièrement vidé et le montage commence.
Très artisanales, ces structures de bambou représentent des figures religieuses (le Vierge de Juquila, Le Christ, Saint Michel, des croix etc...) ou non (un Aztèque, un avion, un cycliste etc...).
C'est impressionnant!
Sur celles-ci, un travail énorme reste à faire en moins de 24
heures. Tous les pétards aux poudres multicolores (faits artisanalement
sous le contrôle du chef artificier, Rey) et les mèches les reliant
dans un ordre établi doivent maintenant être montées: un
travail considérable quand on voit la quantité incroyable de figures
à équiper! Aussi, Rey a-t-il formé personnellement une
équipe d'une quinzaine de personnes du village. Formé lui-même
par son grand-père, 'El Monstro' (comme le surnomment affectueusement
ses amis, à cause de son physique ingrat!), devient 'El Maestro' quand
il s'agit de feu d'artifice! Professionnel reconnu, il réalise ainsi
plus d'une cinquantaine de spectacles par an. Très attentionné
envers nous, nous le trouvons attachant, alors que Yannick est devenu 'Juanito
(Petit Jean), mi amigo!'