Sur la route
389, par laquelle nous voulons rejoindre Manic-5 (le plus gros barrage hydro-électrique
à découvert du monde), la température conjuguée
au vent nous glace les os.
Cette route très peu fréquentée est aussi appelée
la Transcanadienne. Elle permet de relier la côte nord du Saint Laurent
à l'extrême nord du Québec, puis au Labrador pour rejoindre
Terre-Neuve. Traversant des territoires quasiment inhabités, elle est
la route du grand froid, celui du nord canadien.
Malgré
les 2 heures d'attente déjà écoulées, le moral reste
très bon: si on croit en notre bonne étoile, ça ne peut
QUE marcher!
Vers 13h15, un pick-up Chevrolet s'arrête:
-Nous allons à Manic-5.
-Montez, j'y passe!
Bob, de son vrai nom Jean Fortin, a tout juste 50 ans. Un collier de barbe,
l' oeil vif et rieur, il fait partie de ces gens avec qui l'on sent que ça
passe tout de suite. Très vif d'esprit, la conversation s'engage rapidement
et nous tombons sous le charme du personnage. Pas banal, en effet, ce personnage,
dont la profession nous transporte immédiatement dans l'esprit des pionniers
du nouveau monde. Après s'être essayé à différents
métiers, il est en effet devenu prospecteur. Oui, c'est bien cela: prospecteur!
Cette profession tombée en désuétude, dont le nom semble
venir d'un roman de Jack London, ne compte plus que quelques représentants
dont notre chauffeur. C'est tout l'univers du chercheur d'or qui vient de croiser
notre route.
Actuellement, la province du Québec n'en compte que deux. Bien sûr, la technologie est venue améliorer le quotidien et les méthodes de prospection minière ne sont plus les mêmes mais l'esprit, lui, reste identique. Nous sommes ici en présence d'un aventurier, amoureux des grands espaces et de la vie en toute liberté. Comme au siècle passé, les conditions de travail sont extrêmes et ne laissent aucune place à l'amateurisme ni au hasard.
-Plus concrètement,
poursuit Bob avec un accent plein de charme, mon job consiste à prospecter
des terres vierges pour y découvrir -dans le meilleur des cas- des gisements
de minéraux exploitables par des compagnies minières. Je travaille
donc beaucoup sur documents pour cibler la probabilité de découvrir
un gisement. Ensuite, tout se passe sur le terrain.
-Et il y a beaucoup de gisements par ici?
-Plus tu montes vers le nord, plus c'est riche!
-Mais on
ne travaille pas l'hiver?
-Christ que oui! Entre -30 et -35°C, c'est là que tu travailles le
mieux!! A c'te température, tu ne transpire pas et c'est trop frette
pour qu'tu t'arrêtes. Alors c'est là que le rendement est meilleur.
-Et comment tu prouves que c'est toi qui a fait la découverte?
-Après que tes hypothèses t'aient indiqué un gisement probable,
tu dois te rendre sur le territoire, en prendre possession selon des règles
très précises, en faire la déclaration et payer un paquet
d'argent. Après ça, tu retournes sur ton territoire pour analyser
le sol avec tout le matériel et ton équipe... Si les analyses
des échantillons prélevés sont favorables, il ne reste
plus qu'à convaincre une compagnie minière de te racheter le terrain.
-Et tu y vas comment sur ton territoire?
-Ca dépend! En bateau, en hélicoptère ou en avion de brousse.
On emmène tout le matériel pour l'exploration minière et
pour faire des routes. Faut savoir qu'on prospecte sur des terres vierges, en
pleine forêt boréale ou dans la taïga...
Et les questions succèdent aux questions. Son univers nous passionne totalement. Bob a ce talent de conteur et une telle passion de son métier qu'il vous convertit instantanément pour peu que l'aventure vous fasse rêver. Et il est tombé sur un public tout acquis à sa cause!
- En plus des
prospections, j'ai monté une pourvoirie à 100 kms d'ouske vous
allez. (Une pourvoirie est une infrastructure d'hébergement tout confort
pour chasseurs,et pêcheurs du grand nord canadien). En ce moment y a personne,
si vous voulez venir jusque chez moi, j'vous invite!
L'occasion est
trop belle de toucher de plus près l'univers du grand nord québécois,
de la chasse à l'orignal, des grands lacs et de la vie coupée
du monde... On en rêvait sans en avoir les moyens financiers: le destin
vient une fois de plus nous offrir une occasion unique d'y parvenir.
-Avec plaisir,
répondons-nous presque gênés par tant de générosité.
-Bienvenue! (de rien, en québécois).
L'énorme 4 par 4 Chevrolet de 210 CV avale les kilomètres de cette route-piste conduisant vers le nord à plus de 130 km/h. Nous arrivons bientôt au km 336, terme de notre voyage: La Pourvoirie du Prospecteur nous accueille!